Se remplir pour ne pas sentir le vide

On croit avoir faim, envie, besoin. On ouvre le frigo sans savoir pourquoi, on se perd sur les réseaux sans rien chercher, on enchaîne les tâches, les épisodes, les messages. Ce trop-plein n’est pas un plaisir, mais une tentative. Celle de contenir, apaiser, ou anesthésier un malaise plus profond. Ce que l’on remplit n’est pas l’estomac ou l’agenda, mais un vide intérieur plus ancien, plus diffus.
Le vide comme trace de l’absence
Ce vide que l’on fuit n’est pas un simple moment de creux. Il est souvent porteur d’une mémoire : celle d’un manque ancien, d’une carence précoce, d’un lien incertain. Il active un ressenti difficile à nommer, mais puissamment agissant. C’est moins un vide actuel qu’un vide hérité, dont les contours sont flous mais la sensation réelle. Et pour ne pas avoir à le sentir, le psychisme met en place des parades.
La compulsion comme tentative de maîtrise
Ce trop-plein d’actions, de stimulations, de consommation n’est pas le fruit du hasard. Il surgit souvent là où le silence menace, là où la pensée pourrait percer. La compulsion est une manière d’éviter la rencontre avec ce qui déborde ou fait peur à l’intérieur. Manger, acheter, s’occuper sont autant de manières de reprendre le contrôle sur une angoisse qui ne se dit pas, mais qui insiste.
Un rituel inconscient d’auto-apaisement
Derrière chaque comportement répétitif se cache un message que le conscient ne peut pas encore entendre. On croit agir par envie, mais c’est souvent une défense. L’acte devient un rituel rassurant, une manière de ne pas laisser émerger ce qui dérange. Le trop-plein vient ainsi occulter la sensation d’un manque plus profond, souvent lié à des blessures précoces de séparation, de non-reconnaissance ou d’abandon.
Ce que le vide cherche à nous dire
Le vide n’est pas vide. Il est rempli de tout ce que nous avons enfoui, tu, différé. Si l’on cesse de se remplir, on s’expose à sa rencontre – et cette rencontre peut être inconfortable. Mais elle ouvre une possibilité : celle de commencer à écouter ce qui a été trop longtemps recouvert. Et parfois, dans ce silence rétabli, une mémoire émotionnelle se réveille, une vérité enfouie émerge, une parole devient possible.
Vers une présence plus habitée à soi
Sortir du cycle du remplissage compulsif, ce n’est pas décider de se priver ; c’est commencer à se relier autrement à ce qu’on ressent. Cela suppose de pouvoir contenir un moment de vide sans panique, de lui laisser une place. C’est par cette traversée que le vide peut cesser d’être une menace, et devenir un espace. Un espace habité, où l’on ne fuit plus, mais où l’on commence à exister autrement.