La construction identitaire avant la naissance

Peut-on commencer à « être quelqu’un » avant même d’être né ? À première vue, l’idée peut sembler étrange. Pourtant, la psychologie périnatale et la psychanalyse s’accordent de plus en plus sur un point : la construction de l’identité débute bien avant la naissance. Le bébé, dès la vie intra-utérine, est déjà un sujet en formation, immergé dans un environnement affectif, corporel et symbolique. Les ressentis de la mère, les projections parentales, le climat émotionnel dans lequel il se développe participent à forger les premiers contours de son « être au monde ».
Un être déjà sensible dans le ventre maternel
Longtemps considéré comme une simple présence biologique, le fœtus est aujourd’hui reconnu, grâce aux recherches en neurosciences et en psychologie prénatale, comme un être sensible et réceptif. Dès les premiers mois de grossesse, il perçoit les sons, les rythmes, les variations hormonales, les états émotionnels de sa mère. Il réagit à sa voix, à sa respiration, à ses émotions. Cette sensorialité précoce constitue un socle d’expériences primitives qui influencent sa sécurité intérieure et ses premiers ancrages psychiques.
Le rôle du désir parental dans la pré-construction du moi
Avant même sa conception, l’enfant est souvent investi d’un imaginaire parental. Il est pensé, désiré, fantasmé : fille ou garçon, projeté comme sauveur, héritier, ou réparation d’un manque. Ces projections, souvent inconscientes, forment une sorte de « roman familial » qui entoure l’enfant à venir. Le fœtus est alors pris dans un réseau de paroles, d’attentes, d’émotions, qui préfigurent les premières bases de son identité. Il n’est pas une page blanche, mais un sujet déjà inscrit dans une histoire, une filiation, un lien.
L’impact de l’environnement affectif et relationnel
Le climat émotionnel dans lequel se déroule la grossesse joue un rôle clé. Une mère stressée, isolée ou en deuil ne transmet pas les mêmes messages émotionnels qu’une mère soutenue, rassurée et en lien avec son bébé. Le père ou co-parent, la fratrie, les événements familiaux — tout cela influence l’ambiance psychique autour du fœtus. La qualité du lien prénatal, cette communication subtile entre le bébé et son environnement, participe à la sécurité de base et au sentiment d’existence qui se construira progressivement.
Une mémoire corporelle avant la mémoire psychique
Avant même l’apparition du langage, le bébé enregistre dans son corps des traces sensorielles et émotionnelles. Ces premières empreintes — tensions, bercements, voix, rythmes — forment ce que les psychanalystes appellent le noyau préverbal de l’identité. C’est une mémoire implicite, qui ne passe pas par les mots, mais qui reste inscrite dans le schéma corporel et les réactions émotionnelles. Elle influence la manière dont l’enfant, puis l’adulte, vivra ses relations, son sentiment de sécurité, sa capacité à se sentir exister.
Vers une reconnaissance précoce du bébé en tant que sujet
Reconnaître que la construction identitaire commence avant la naissance, c’est changer de regard sur la vie intra-utérine. C’est considérer le bébé non comme un objet de soins futurs, mais comme un sujet en devenir, déjà engagé dans une relation. Cela invite les parents, les soignants et la société à prêter attention à ce qui se joue avant la naissance : les mots adressés au bébé, les gestes, les émotions, les silences. C’est aussi reconnaître que certains troubles identitaires peuvent trouver leurs racines dans cette période si souvent négligée… mais si riche.