Toucher le corps du partenaire, accueillir ses émotions

Le corps est l'espace dans lequel nous vivons nos émotions. Toute émotion s'exprime dans une zone corporelle voire dans le corps tout entier. La peur nous glace quand l'amour nous réchauffe. L'angoisse, étymologiquement resserrement, nous prend à la gorge, nous noue le diaphragme. Que se passe-t-il alors quand le toucher entre en scène ? Comment les émotions des corps en contact se répondent-elles ?
 

A notre venue au monde, nous ne sommes qu'un ensemble de sensations. L'expérience de ses sensations nous renseigne sur l'espace occupé par notre corps. Progressivement, le langage que nous découvrons s'empare de cette représentation sensitive. Nous devenons capables de poser des mots sur les ressentis, de les organiser, de les classer et de les contenir. En fait, nous remanions, par la parole, l'image que nous avions primitivement construite de notre corps.

Chaque partie du corps est reprise dans une série de représentations plus vaste : notre discours. Elle y est associée à des évènements et à des instants de notre vécu. Il n'existe plus de superposition exacte entre notre corps physique et l'image que nous en avons. De nombreuses pathologies, en grossissant ce décalage, nous le révèlent (l'anorexique se perçoit grosse, l'amputé sent son membre absent, …).
 

Tout se passe comme si nos corps gardaient la trace de la façon dont nos nouvelles représentations les redessinent. Lors d'un effleurement, d'une caresse, nous jetons la lumière sur toutes ces significations personnelles et inconscientes contenues dans l'opacité de la chair. Tout acte concernant le corps autorise l'émergence de sensations oubliées et, avec elles, d'émotions disparues. Si l'esprit oublie, le corps garde les traces de notre histoire en se constituant. La sensation corporelle agit comme les premières notes d'une musique écoutée dans l'enfance, elle entraîne avec elle, souvenirs, émotions, plaisir, angoisse.
 

Dans la relation amoureuse, la découverte du corps de l'autre est un voyage aux origines de son être. En suivant, chaque pli, chaque courbe, nous procédons comme l'archéologue qui chemine dans le déchiffrement d'une tablette relatant les étapes d'une histoire encore inconnue. Chaque sensation renvoie à un élément de son histoire personnelle. Ainsi, chacune de ses zones érogènes s'est construite en lien avec son vécu. C'est pourquoi certain(e)s aimeront le cou tandis que d'autres adoreront l'intérieur du bras, ... Ces différences entre zones corporelles n'ont pas nécessairement de lien avec leurs capacités sensorielles respectives (paume des mains, plante des pieds sont très innervées par exemple). Elles sont les fruits de l'image inconsciente que nous détenons de notre corps.
 

Pour que le voyage promis par le toucher puisse avoir lieu et que les émotions puissent se vivre, il est important qu'un climat de confiance s'instaure. Le corps est le lieu de l'intimité et nous ne saurions donner les clés de notre fonctionnement psychique (et corporel !) sans précautions. La douceur mais plus encore le tact doivent accompagner l'instant du toucher. Ils sont les conditions sine qua non pour que nous commencions à nous raconter, à parler de nos émotions. Mais avec le toucher, nos histoires se passent aussi très bien des mots. Puisque il est le langage des corps, plaisant qu'il est, il se suffit souvent à lui-même.