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TF1 et l'appauvrissement culturel de la France
Le manque de programmes culturels, de débats publiques pertinents et égalitaires ou encore de documentaires de fond, proposés sur la première chaîne française, semble désormais une réalité avérée et vérifiée par le plus grand nombre.
Etat de faits
TF1 est une chaîne nationale privatisée depuis 1985. La société Anonyme Bouygues, qui possède le quasi-monopole des activités de construction de bâtiments publics et entretient, à ce titre, d’étroites relations avec les pouvoirs publics, en représente le principal actionnaire.
Depuis quelques années, la chaîne est devenue leader en matière de diffusion de show de téléréalités, de films et séries américaines laissant place à de plus en plus de violences ou encore de jeux télévisés, brillants par les gains qu’ils offrent à défaut de le faire par leur niveau culturel.
Dans une lettre adressée au président de TF1 (Nonce Paolini) en octobre dernier, le député socialiste Arnaud Montebourg affirmait notamment : « Dans la semaine du 29 septembre au 5 octobre 2010, vous avez choisi de consacrer 41 heures 30 à des émissions liées à l’argent, soit des émissions de vente (télé shopping) ou à des jeux dont l’appât du gain est le moteur (“Une famille en or”, “Les douze coups de minuit”, “Koh Lanta”, “Secret Story”). Les émissions où vous mettez en scène de façon artificielle la compétition acharnée et destructrice de la dignité, entre des êtres humains - jusqu’à leur faire manger des vers de terre-, occupent cette semaine plus de 23 heures d’antenne (“Master Chief”, “Koh Lanta”). Enfin, je suis surpris par la contribution malheureusement décisive que TF1 a apportée à l’élévation du niveau de violence dans les oeuvres de fiction diffusées. Le nombre de meurtres, de viols, et de violences physiques a acquis en 15 ans une importance démesurée dans les programmes de votre chaîne. »
Enfin, s’il était encore nécessaire de convaincre certains d’entre vous, rappelons les propos tristement célèbres du prédécesseur de M Paolini à la tête de TF1, M Patrick Le Lay en juillet 2004 : « dans une perspective 'business', soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. […] Or pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible.»
Les dangers de la sollicitation émotionnelle
La sollicitation émotionnelle désigne la tendance des médias à diffuser du ‘spectaculaire’ et du ‘sensationnel’, dans l’objectif d’atteindre des records d’audimat. Les scènes de violences en constituant une grande majorité, beaucoup ont vu un lien entre ces éléments et la hausse constante des actes de violences dans notre pays (et ailleurs).
De nombreuses recherches ont donc été menées afin d’étudier l’influence de la diffusion de scènes violentes sur la perception et le comportement des téléspectateurs. Parmi celles-ci, nous pouvons citer les études conduites aux Etats-Unis sur la presse écrite (1), les journaux télévisés (2) et les séries policières (3) et qui témoignent du large consensus entre les chercheurs, sur un impact indirect et différé de la violence : une exposition régulière à la violence entraîne une banalisation de celle-ci ainsi que le syndrome dit ‘mean world syndrome’, c'est-à-dire une tendance à percevoir le monde comme dangereux.
Or, le sentiment de sécurité étant un besoin élémentaire de l’être humain, il cherchera une réponse adaptée, notamment en tentant de contrôler les dangers. Parmi ces réponses, les mécanismes de catégorisation sociale occupent une grande part. Ils procèdent par un ordonnancement et une simplification de l’environnement par un découpage de celui-ci en catégories (Tajfel), c'est-à-dire en stéréotypes qui biaisent considérablement notre jugement.
La force de l’exemple
La prolifération des émissions de téléréalité où les êtres humains sont présentés comme des individus sans moral et sans dignité, et prêts à tout pour l’appât du gain, peut-il altérer notre jugement et notre perception de la société ?
Malheureusement, il nous faut répondre par la positive. Il s’agit, en autre, du phénomène d’heuristique disponible : plus nous parvenons à identifier des images d’un évènement, plus nous avons tendance à le juger probable.
Ainsi, plus les programmes nous abreuvent de mises en situation où l’homme est présenté comme ignare, avide et sans scrupule, plus nous aurons tendance à percevoir notre société comme telle.
Et dire que certains s’interrogent encore sur la dégradation des liens sociaux et sur le moral en berne des français…
(1) V.S. Sorenson, J Peterson Manz & R. Berk, News medias coverage and the epidemoliogy of homicide, American journal and public health, vol 88, 1998
(2) V.K. Dowler, Sex, lies and videotape : the presentation ok sex crime in local television news, Journal of criminal justice, n°34, 2006
(3) V.M. Houck, Crime scene investigation : the reality, Scientific american magazine, 2006