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Syndicat et souffrance au travail
A l’heure où les phénomènes liés aux souffrances au travail explosent et démontrent leurs réalités sociales tant par des faits divers dramatiques que par des coûts économiques exorbitants, on pourrait s’étonner que les syndicats ne s’emparent pas davantage de ce thème de bataille ou ne voient pas croitre leur nombre d’adhérents. Un fossé semble en effet s’être creusé ces dernières années entre les représentants du personnel et les salariés, laissant ces derniers bien seuls pour faire entendre leurs maux.
Une histoire liée aux conditions de travail
Si l’histoire des syndicats est assez récente, elle nous apprend qu’ils furent depuis toujours liés à l’évolution des conditions de travail. Ce sont par exemple les Canuts de Lyon, ces ouvriers tisserands de la soie soumis à de très rudes conditions de travail (plus de 18h de travail par jour) qui, pour la première fois, se regroupèrent et se révoltèrent (1831-1834). Ainsi, bien avant la formation des syndicats tels que nous les connaissons aujourd’hui, des ouvriers s’associaient en réponse à l’évolution des conditions de travail, elle-même entraînée par la révolution industrielle.
Tout au long du XIXème siècle, on assista à une montée en puissance des syndicats. La CGT, Confédération Générale du Travail, est notamment fondée en 1895 et en devînt un acteur majeur. Au XXème siècle, le syndicalisme est une réalité acceptée par la plupart des industriels. Pendant la Première guerre mondiale, leur union avec le gouvernement marqua leur entrée sur la scène politique et constitua le premier pas des syndicats vers le jeu institutionnel.
Une crise contemporaine
Aujourd’hui, la France compte de nombreuses organisations syndicales. Cette diversité n’est cependant pas à mettre en lien avec leur force mais dépeint au contraire leur fragmentation. Cette division, due aux différentes sensibilités politiques suivies (lesquelles guident leurs combats et leurs prises de position), participe à leur affaiblissement en complexifiant le paysage syndical mais également en divisant le nombre d’électeurs potentiels et en multipliant les discours discordants au moment où le chômage pousse déjà à l’individualisme.
Devant ces phénomènes, beaucoup n’hésitent plus à parler d’une crise syndicale traversée par notre pays : il est vrai qu’en 1980, 20% des salariés étaient syndiqués contre 10% dans les années 90. En 2010, ils n’étaient plus que 7 à 8% ; des chiffres si bas qu’ils peuvent remettre en question leur caractère représentatif. Pour autant, en remarquant que les autres pays ne font guère mieux, on est tenté de chercher à cette crise une autre explication que le simple contexte français ; une explication qui pourrait d’ailleurs ne pas être sans lien avec l’apparition des phénomènes de souffrance au travail.
Les syndicats à l’épreuve du travail
Historiquement nous l’avons vu, les syndicats se battent pour défendre les conditions de travail des salariés : le temps de travail, les repos, les congés, les heures supplémentaires, la pénibilité ou encore les revendications salariales sont quelques-unes de leurs batailles. Or, il ne s’agit nullement des thématiques abordées par les salariés en souffrance. Ceux-ci parlent du travail inutile, de pressions, d’accélération des commandes, de climats de travail détestables ou encore de perte du cœur de métier, de sale boulot, de valeurs perdues… autant de situations qui se retrouvent malgré des temps de travail, de repos ou encore de congés respectés et des professions n’entrant même pas dans les critères reconnus de pénibilité...
Les syndicats parlent des conditions de travail tandis que les salariés en souffrance parlent du travail. Et le débat sur les conditions de travail n’a rien à voir avec le débat sur le travail. Pour débattre du travail, il faut le voir en situation, car parler du travail est en soi une épreuve. Demandez à un professionnel de décrire, par exemple, les gestes qu’il réalise pour tailler un morceau de bois, et vous verrez que la réponse ne va pas de soit… Les gestes de travail sont véritablement « incorporés au corps » : on parle de mémoire procédurale, dont on sait que beaucoup des processus sont semi-conscients. L’exemple le plus frappant est celui du laçage de chaussures : lorsque l’on fait nos lacets, nous ne réfléchissons pas à la manière de nous y prendre. Nous le faisons automatiquement, c’est-à-dire de façon inconsciente.
Comprendre les souffrances au travail nécessite de cerner le travail, cette activité à la fois individuelle, sociale, transgénérationnelle, faisant appel à des temps de travail collectif, à des régulations résultant de compromis entre les prescriptions de la hiérarchie, les attentes des clients ou encore les contraintes de la situation. Cette description fort succincte dévoile un peu de la complexité du travail (on parle de travail réel par opposition au travail prescrit, que l’on peut notamment voir décrit dans les fiches de poste). Les seuls en mesure de parler du travail sont bien sûr, les travailleurs eux-mêmes mais ces derniers peinent à décrire leurs pratiques, la plupart étant inconscientes. Pour les syndicats, cette contrainte est de taille puisque la parole des salariés est au cœur de leur travail de revendication. Elle est l’une des clés pour comprendre la crise syndicale et le fossé qui se creuse entre les salariés et leurs représentants.
Redéfinir les méthodes syndicales
La complexité de production d’un discours sur le travail n’est pas l’apanage des syndicats. L’ensemble des acteurs en lien avec la santé au travail est soumis à cette difficulté. Bon nombre de chercheurs estiment d’ailleurs que l’enjeu majeur du développement de la santé au travail dans les prochaines années concernera la capacité à inventer des méthodes qui permettent aux dirigeants comme aux syndicats, de parler du travail.
Les organisations du personnel doivent en effet aller au-delà du discours de plainte qui constitue souvent la porte d’entrée des salariés. Elles doivent « descendre » jusqu’au travail réel. Ces enjeux constituent de véritables défis pour leur avenir. Cependant, si elles y parviennent, elles seront en mesure d’appréhender les situations contextualisées de travail et par là-même, de démontrer les valeurs et la qualité de travail toujours défendues par les salariés en souffrance. Ce faisant, les syndicats auraient les moyens de faire évoluer les représentations patronales en mettant en exergue des intérêts partagés.