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Réalités des souffrances au travail
Les risques psychosociaux, le harcèlement professionnel et sexuel, le management par la terreur… autant de concepts théoriques difficiles à cerner. Comment ces problématiques se concrétisent-elles ? Comment les victimes parlent-elles de ce mal être ?
La peur du suicide
Notre société est désormais lourdement frappée par les suicides liés aux conditions de travail, les journalistes n’hésitent plus à se faire le relais de cette réalité morbide, participant ainsi à une prise de conscience globale et à une traduction objective et chiffrée de ses conséquences. Le travail n’est donc plus seulement associé à de possibles souffrances mais bien à la mort.
Chaque individu craint la mort, lorsque nous y sommes confrontés, nous mettons en œuvre un mécanisme de défense afin de nous préserver. Le phénomène de distanciation est bien connu de tous, il consiste à penser que cela n’arrive qu’aux autres et à se persuader que dans la dite situation, nous aurions mieux réagi.
La distanciation ne peut intervenir face à la crainte de la mort dans le travail, car la vie professionnelle fait partie intégrante de notre identité. Un individu se définit en effet par son identité sexuelle, sociale et professionnelle. Dans notre société, la place du travail est devenue considérable et empiète grandement sur la représentation que nous avons de nous même : il est plus facile d’assumer un échec de sa vie sentimentale et familiale que le fait de perdre son emploi : divorcer ? On assume ; être chômeur, c’est une autre paire de manches : culpabilité, dénigrement de soi, humiliation, perte de confiance en soi….
Ceux qui connaissent des difficultés dans leur emploi peuvent ainsi développer une véritable angoisse de mort, comme un danger qui les guette et contre lequel ils n’ont aucun recours : «Et si je me mets à y penser, et si je m’approche de la fenêtre, est ce que je vais sauter ? »(1)
Le manque de reconnaissance
La mondialisation a totalement modifié les valeurs de travail, privilégiant nettement la quantité à la qualité. Dans toutes les entreprises, il faut produire plus, plus vite… Cette obsession de rentabilité a totalement dépossédé les salariés de leurs savoirs faire qui ne sont plus que des chiffres sur un tableau : celui de leur rentabilité. Les métiers disparaissent ; équipier chez Mac Donald’s au lieu de serveur, conseiller au lieu de vendeur…
Petit à petit, les critères de qualité et d’expérience disparaissent de l’évaluation des salariés, chaque parole, chaque geste est étudié et programmé. Citons l’exemple de la grande distribution et du fameux SBAM des hôtesses de caisse : 'Sourire, Bonjour, Au revoir, Merci', ce sont les mots que chaque employé doit répéter dans cet ordre à chaque client, des enquêteurs contrôlant régulièrement le respect du discours. L’individu devient un automate, sans cesse condamné à répéter les mêmes mots à l’infini; il perd son identité, sa personnalité.
Même dans le secteur social où le cœur du travail porte directement sur les relations humaines et les affects, l’entreprise codifie l’activité en chiffre. Dans les CIBC, Centre de bilans de compétences, association présente sur tout le territoire et dans laquelle des psychologues du travail reçoivent des salariés en questionnement professionnel, ou en souffrance ; le travail est mesuré : temps d’entretien, temps de présence du bénéficiaire, temps de face à face entre le psychologue et l’individu, temps de rédaction de synthèse, temps de correction et d’interprétation de tests...
Un indicateur de la souffrance de la personne ? Non, un autre permettant de spécifier le besoin d’écoute alors ? Non plus. Bon, alors au moins un chiffre portant sur la qualité du travail du psychologue, par exemple, en tenant compte de la satisfaction du bénéficiaire, de son mieux être, ou alors de la réussite du projet professionnel après le bilan de compétences ? Non.
La culpabilité
Aujourd’hui, réussir professionnellement et socialement est presque devenu une injonction, chacun a obligation d’être épanoui et heureux dans son travail, si bien que l’on est poussé à prendre des décisions radicales si tel n’est pas le cas : démissionner, se reconvertir ….
Par ailleurs, dans le contexte de crise économique actuel, il est devenu presque interdit d’exprimer des mécontentements sans être confronté à un « toi au moins, tu as un travail ! » C’est vrai à la fin, de quel droit pense t-on au respect de son temps de pause alors que certains acceptent de travailler davantage sans augmentation de salaires ? Alors que tant de personnes sont licenciées ?
Les psychologues définissent cette situation sous le terme d’injonction paradoxale, c'est-à-dire l’obligation de faire l’endroit et l’envers en même temps, de colorer en blanc et en noir simultanément : celui qui se plaint de son emploi et pense à lui-même est critiqué, tout en étant sommé d’être épanoui et de réussir ! Toute solution étant impossible, l’individu se retrouve seul et incompris, et ne tarde pas à se remettre en question, à douter de lui-même et à se reprocher ses ressentis.
La déshumanisation des milieux de travail
L’une de ses plus criantes manifestations est sans doute l’organisation de l’espace de travail en bureaux ouverts. Chaque jour, le salarié change de place, c’est la traduction concrète du sentiment de ‘ne pas avoir de place’ dans l’entreprise. Impossible de personnaliser son bureau, de le transformer en un lieu agréable pour soi même, de le différencier de celui de ses collègues. A nouveau, la spécificité de chacun est niée, tout comme les signes de sa vie personnelle et finalement de son identité en tant que personne.
Un parallèle frappe souvent les esprits lorsque nous sommes confortablement installés devant un bon film de science fiction présentant un monde où les robots remplacent les hommes dans le travail. Il n’est pas rare de constater que les machines travaillent toutes semblables les unes aux autres, au même rythme et dans les mêmes conditions : c’est évident me direz vous, pourquoi faire des bureaux esthétiques pour des machines ? Pourtant, il est bien difficile de ne pas voir les similitudes entre les conditions de travail présentées pour des machines et celles que l’on tend à imposer à l’homme, en uniformisant tous les postes et refusant d’attribuer une place à chacun.
Paroles de salariés (2)
• « Après plus de 10 ans d’ancienneté dans l’entreprise, on m’a nommé un parrain pour m’apprendre à travailler ! »
• « J’ai du ravaler mes années de métiers d’accueil, tous mes savoirs faire ! »
• « Il ne me passait aucune information par peur de perdre sa supériorité sur moi, dans un climat de rivalité incroyable »
• « Elle me dit que suite à une réorganisation pendant mon absence, je n’ai plus de poste de travail »
• « J’ai des bourdonnements d’oreille très intenses, mon crâne me donne l’impression d’être au bord de l’explosion, la douleur est insupportable »
• « Dans l’entreprise, il considère le stress comme stimulant, il est donc vivement conseillé à chaque cadre de le provoquer afin d’obtenir de meilleurs résultats »
• « On va vous donner quelqu’un et vous allez vous entrainer dessus. Vous avez la protection de la hiérarchie, s’affirmer sur quelqu’un consiste à mettre la pression… lui donner des objectifs irréalisables, sans moyen et peu de temps, et de lui dire que c’est un challenge… affirmer mon autorité sur les autres passent par ce type de relations musclées »
• « Une technique d’interrogatoire du salarié est introduite comme méthode spécifique de management… niveau verbal élevé et menaçant, questions en rafales sans possibilité de répondre, climat d’accusation systématique, fausses sorties, durée prolongée de l’entretien, porte laissée ouverte sur le reste du service »
• « Je ne pouvais plus supporter les réflexions salaces sur mes jambes, mes cheveux, ma féminité ! J’ai effacé, effacé, effacé…Je n’avais plus mes règles »
• « Très vite, on m’appelle ‘le gros’… Ils me houspillaient tellement, tout le temps, que j’ai fini par me replier. J’ai décidé de travailler tout seul dans mon coin »
• « Il fouille dans les poubelles et se dévoile en disant : Je ne trouve pas de déchets alimentaires dans vos poubelles, vous faîtes un régime ? »
• « Pas de chance, ici, comme vous êtes seule, vous ne pourrez pas faire de pause-café pour papoter avec des collègues comme le font les secrétaires d’habitude »
• « Je pouvais rester des journées entières sans travail. Puis il m’amenait tout en bloc vers 17h40-17h45, en me faisant comprendre que ce soit fait immédiatement »
• « Le plus impressionnant dans ces cas là, était la jubilation que je pouvais lire sur son visage »
• « Monsieur W dit de faire le maximum mais ça n’est jamais assez…. Mais je n’obtiens aucune explication, seulement des critiques »
• « Je n’aime pas me reposer. Je n’ai pas le temps de m’asseoir et je trouve ça très bien. Comme ça, je ne pense pas »
(1) Citation de Luce Janin-Devillars
(2) Propos rapportés par Marie Perez dans l'ouvrage : Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés