Difficulté de lecture : 4 / 5
Peut-on vivre sans facebook ?
Le plus grand réseau mondial rassemble des centaines de millions d’utilisateurs : en France, ils sont environ 15 millions d’inscrits dont 90% des 15-24 ans (1). Plus de 2 millions mettent à jour leur statut chaque jour et près de 135 millions de photos sont chargées sur le site chaque mois. Autre chiffre : plus de 100 000 événements créés mensuellement !
Créateur de liens ou d’exclusions ?
En tant que réseau social, la première fonction de Facebook est de mettre des membres en relation. De plus, le site fonctionne sur la base d’un rapprochement des individus en fonction de leurs intérêts et non pas sur l’appartenance à une communauté ethnique, culturelle ou politique. En ce sens, Facebook permettrait une mixité sociale en regroupant des personnes d’horizons différents : médecins, ouvriers, hommes, femmes, salariés, chômeurs, étudiants etc…
Pourtant, avec une telle activité quotidienne, il semble bien difficile de réduire Facebook à un simple outil de ‘liaisons sociales’. La réalité (si l’on peut dire) est toute autre, il s’agit en fait d’un nouveau territoire investi par certains hommes, au détriment des autres, et dans lequel une communauté s’est créée et vit. Comme à l’époque des Conquistador, ceux qui ont le moyen et l’opportunité de se rendre dans ce ‘nouveau monde’ le font : navire et équipage ont été remplacés par ordinateur et réseau Internet.
Certes, avoir suffisamment de ressources pour accéder au matériel informatique et à l’abonnement Internet est plus simple que d’avoir navire et équipage, mais le vieillard n’en est-il pas exclu dans les deux cas ? Et celui qui est au RMI ou qui ne sait pas lire ? Celui qui habite dans une zone non couverte ou dans un pays pauvre ? Il existe bel et bien une fracture numérique.
Psychodynamique de groupes en ligne
La recherche en psychologie et psychanalyse a encore peu investi le champ numérique. Quelques auteurs ont toutefois travaillé sur les processus individuels et groupaux du cyberespace en jetant les bases de la psychothérapie en ligne (John Suler, 1995 et 2008) ou encore en abordant les interactions entre la technique et l’être humain (Sylvain Missonnier).
Sur cette question de l’exclusion sociale, nous pouvons citer les études de Michaël Civin qui démontrèrent que les réseaux sociaux peuvent à la fois jouer un rôle d’enclavement et de développement exponentiel des liens humains.
La psychanalyse n’est pas en reste. Des auteurs tels que Serge Tisseron ou Geneviève Lombard ont permis d’élaborer des théories sur le lien à soi et le lien à l’autre sur la toile, ou encore de cerner l’espace transitionnel formé par les membres du réseau. Selon ces derniers, il offre des lieux permettant la symbolisation ou la ‘mise en attente’ de certains éléments impossibles à intégrer sur le moment.
Une vie de groupe
Facebook a beau être un réseau social comptant aujourd’hui des millions de membres, il n’en reste pas moins qu’il fut, à l’origine, un petit collectif de quelques personnes, que nous appellerons ses fondateurs. En ce sens, il se rapproche de la dynamique de création des groupes, théorie qui permet de cerner les mécaniques d’intégration et d’exclusion groupales.
Dans ses préludes, Facebook fut en effet pensé et réservé à une classe bien particulière, à savoir les étudiants d’Harvard puis des universités les plus prestigieuses. Il s’agissait, tel les premiers ‘nouveaux riches’, de trouver un moyen d’intégrer le cercle des élites. Ce mouvement autour duquel le réseau se créa, impose donc d’emblée un corollaire : la communauté s’est construite par mimétisme des non-inscrits sur les inscrits, en partant des fondateurs, tentant eux-mêmes de se faire une place au sein d’un autre groupe, perçu comme un idéal à atteindre. Le processus par lequel Facebook fut conçu, trouve donc sa source dans l’exclusion sociale.
(1) Source : mashable.com