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Maltraitance des enfants : un déni social
Selon l’ODAS (Observatoire national de l’action sociale décentralisée) 95 000 enfants seraient victimes de maltraitance chaque année en France (1). Parmi eux, beaucoup décèderont des suites de leurs sévices : dans notre pays, tous les jours, deux enfants meurent d’une maltraitance exercée dans 90% des cas, par la famille proche.
Une législation tardive
La simple reconnaissance des droits aux enfants n’est apparue qu’à compter du 19ème siècle. La première description clinique d’un enfant maltraité fut réalisée en 1860 par un médecin légiste, il fallut attendre 1887 pour que la loi interdise les châtiments corporels à l’école. Mais ce ne fut que le 10 juillet 1989 qu’une loi rendit les auteurs de maltraitance pénalement punissables.
A titre de comparaison, nous avons recherché l’historique des lois contre la maltraitance animale : la législation date de 1976…
La lenteur de l’administration judiciaire reflète donc des résistances humaines évidentes à mettre en question les relations des parents envers leur(s) enfant(s), ainsi qu’à les percevoir comme potentiellement non-idéales. Enfin, il nous semble qu’une troisième résistance existe concernant le fait d’introduire un regard extérieur et d’énoncer un jugement sur ce qui se passe à l’intérieur des foyers et des cellules familiales.
Un rapport social à la maltraitance addictif
Il est vrai qu’aujourd’hui, les maltraitances sur enfants sont largement médiatisées et que l’augmentation régulière (1000 cas de plus chaque année) du nombre d’enfants maltraités témoignent d’une prise de conscience généralisée ainsi que d’une volonté collective de dénoncer ces actes.
Pourtant, une analyse des relations entretenues entre la société et la conscience des violences sur enfant, nous oriente vers la retenue. En effet, dés 1896, Freud dénonça le caractère traumatique des maltraitances (sexuelles) envers les enfants dans sa théorie de la séduction. Pourtant, il se rétracta dés 1897 affirmant qu’il était « incapable de distinguer avec certitude dans les souvenirs d’enfance des hystériques les falsifications des faits réels ».
Dés 1933, Sandor Ferenczi avec son article ‘Confusion des langues entre les adultes et l’enfant’, critique vivement Freud et dénonce les résistances des professionnels à observer les faits de maltraitances (notamment sexuelles dans ce cas) et parle même d’une « hypocrisie des professionnels » venant répéter « l’hypocrisie des éducateurs », c'est-à-dire les parents.
En 1954, le film ‘The three faces of Eve’, basé sur un cas de ‘personnalité multiple’ publié dans le Journal of Abnormal and Social Psychology, appuie une théorie selon laquelle cette pathologie psychiatrique est une conséquence de vécus infantiles traumatiques. Suite à cette médiatisation, de très nombreuses patientes s’auto diagnostiquèrent, tandis que les psychiatres identifièrent plus de troubles de la personnalité multiple en une décennie que durant toute l’histoire de la psychiatrie. Cette ‘boulimie’ fut telle que la pathologie devint un argument récurrent dans les procès.
Les recours à la maltraitance furent ainsi une source d’explications à de plus en plus de situations et de comportements. Devant ces excès, de nombreux psychanalystes et psychiatres devinrent de plus en plus critiques, notamment en mettant en avant, comme Freud, le doute concernant les propos rapportés sur les abus.
Ainsi, tout comme les enfants maltraités, les avis des professionnels en lien avec les violences faites aux enfants, sont clivés, comme si une ‘plongée trop profonde et trop réelle’ dans la maltraitance avait conduit à une attitude de méfiance envers le traumatisme, au lieu d’aboutir à une remise en question du rapport exercé par la société et par l’Homme, envers l’enfance maltraitée.
En aparté
Afin de réaliser cet article, nous avons, comme à notre habitude, effectué de nombreuses recherches bibliographiques. Sur Internet notamment, il nous a été presque impossible de trouver des articles ou interventions sur le thème du déni social envers la maltraitance des enfants.
Si beaucoup cite ce point, très peu, et le mot est faible, s’interrogent sur les origines de ce déni. Seule une conférence de la Fondation pour l’enfance en traite explicitement, elle aura lieu le 14 janvier prochain…
Enfin, nous nous demandons en quoi ces rapports ‘addictifs’ de l’Homme à la maltraitance sont spécifiques du domaine de l’enfance. En effet, dans le monde du travail également, nous retrouvons cette alternance de phases de déni, puis de médiatisation et de dénonciation, de construction théorique sur les violences au travail, et enfin, comme nous commençons à le constater, d’avis parlant d’un surinvestissement intellectuel de ce phénomène.
(1) Chiffres de 2005