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Mal-être et résilience
Lorsque nous vivons des évènements difficiles, il est normal d’en être affecté ; mais lorsque les ressentis douloureux perdurent malgré une vie agréable, nous n’en comprenons plus le sens.
Distinguer le fait historique de l’être qui l’a vécu
Quelque soit l’évènement traumatisant, même le plus tragique, celui-ci appartient au passé, et par définition, n’existe plus. Ce qui demeure, c’est celui qui fut la victime de ce traumatisme, l’identité particulière de l’individu à ce moment.
Chacun se rappelle de celui qu’il était aux différentes périodes de sa vie ; de l’enfant turbulent à l’adolescent timide… Ces identités sont nos différents ‘soi’ et constituent notre tissu psychique au même titre que notre tête, nos membres, et notre buste constituent notre corps.
Lorsque l’on parvient à distinguer l’évènement de l’être qui l’a vécu, on comprend que la guérison n’interviendra pas en revisitant ce souvenir, car ce qui compte, c’est celui que nous étions au moment de ce traumatisme. Dés lors, le symptôme devient le seul lien avec cette part de soi blessée.
Comprendre le symptôme comme une invitation
Neuropsychiatre et spécialiste des comportements, Boris Cyrulnik parle du «murmure des fantômes» pour définir ces réminiscences désagréables qui provoquent le mal être. Mais ces fantômes n’ont rien de malfaisants, bien au contraire, ils sont une preuve de l’être blessé du passé, un appel pour retrouver son intégrité, pour réhabiliter ce «bout de soi», autrefois blessé, qui attend une reconnaissance, une écoute ou un soin qui ne lui a pas été accordé dans le passé.
Les symptômes se produisent donc spécialement pour accomplir cette rencontre avec soi-même, ils n’existent pas à cause du traumatisme mais bien pour réaliser l’union avec la part de soi à réhabiliter. S’occuper de cette fracture n’a donc rien à voir avec un retour vers du mauvais à éliminer.
Les mécanismes psychologiques à l’œuvre
Pour la plupart des personnes, revenir sur un évènement douloureux équivaut à revivre des souffrances, or, si l’on croit qu’un lien est néfaste, il est bien naturel d’essayer de s’en défaire...
Deux forces psychiques, ou pulsions, sont alors à l’œuvre :
• La pulsion de survie
Elle correspond au besoin de s’éloigner de ce ‘soi’ antérieur douloureux. Elle se manifeste sous la forme d’une anesthésie permettant de continuer à vivre malgré la douleur. Le corps, comme le psychisme, a recours à ce mécanisme : Dans un accident, lorsqu’une victime est blessée, même gravement, il arrive souvent que la douleur immédiate ne soit pas ressentie et permette à la victime de trouver la ressource nécessaire pour s’échapper et demeurer en vie. Le ressenti douloureux apparaîtra plus tard pour signaler la zone blessée et déclencher l’action de soin. Au niveau psychique, ce ressenti douloureux est nommé pulsion de vie.
• La pulsion de vie
Il s’agit donc des ressentis psychiques douloureux, ces fantômes qui provoquent le mal être ; mais dont l’objectif, comme pour une blessure physique, est de permettre la détection d’une partie de soi blessée et nécessitant des soins. Cette pulsion est garante de notre intégrité.
Pourquoi revenir sur les parties de soi blessées ?
Si, lors d’un accident, un individu se trouve blessé à la jambe, qu’il ignore les sensations de douleurs et ne se soigne pas ; la blessure s’aggravera jusqu’à provoquer l’amputation. Il en est de même au niveau psychique : Avoir pour projet de se débarrasser définitivement d’une part de soi blessée revient à faire le choix d’une amputation de soi. Il s’en suivra des mécanismes de compensation tentant de combler le manque : boulimie, alcoolémie, toxicomanie…
Vers la guérison
La réparation du soi blessé consiste en une médiation entre celui que nous étions et celui que nous sommes devenu. Il s’agit de réduire la fracture entre le soi présent et le soi passé jusqu’à la consolidation. La restauration de l'intégrité permettra ainsi de guérir des maux psychologiques et d’éliminer les manques d’affirmation de soi.
Guérir renvoie ainsi à la capacité de faire face au traumatisme sans en être affecté ultérieurement, autrement dit à trouver le moyen de se reconstruire. Cette capacité est appelée résilience. Elle définit une sorte de stabilité immédiate ou retrouvée qui se construit progressivement après le choc, grâce à nos ressources intérieures (souvent insuffisantes) et extérieures.
Les ressources internes renvoient à l'énergie physique, à un passé relativement heureux, au fait d'avoir été apprécié par ses parents, d'avoir réussi des projets importants, d'avoir été entouré par des amis etc…. Les ressources externes correspondent essentiellement à la qualité de l'environnement humain, mais aussi au fait d'avoir des projets, d'avoir un certain confort de vie...
Après le traumatisme
L’individu ne sera plus jamais le même, simplement car il est impossible d’agir comme si rien ne s’était produit. Face à cette modification psychique, trois situations peuvent survenir :
• La stabilité réelle
L’intégration de ce qui est vécu se produit grâce aux ressources internes et externes. On parle alors de concilience, c’est-à-dire d’un état dans lequel l’individu peut concilier en lui toutes les parties de soi.
• Stabilité temporaire forte
Dans ce cas, on constate que la personne « assure », elle donne l’impression de bien faire face, de telle sorte que l’état extérieur reste intact alors que l’état intérieur s’est fracturé. L’énergie dont elle dispose ne permet pas l’intégration, mais reste suffisante pour refouler durablement l’expérience traumatisante. Cet état demeurera tant que les ressources seront suffisantes, mais lorsqu’elles faibliront, la pulsion de vie provoquera le mal être pour témoigner de la blessure, produisant alors ce que l’on nomme la décompensation. La personne s’écroulera littéralement, entraînant l’incompréhension de l’entourage.
• Stabilité temporaire faible
Dans cet état, la fracture est évidente, l'individu ne dispose pas des ressources nécessaires pour intégrer ni même refouler le traumatisme. La fragilité apparaît instantanément et sera visible par l'entourage, elle provoquera en autre des phénomènes de compensation immédiate.