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Les collectifs : nouvelle expression citoyenne ?
D’un point de vue sociologique, le ‘collectif’ définit « le monde social étendu aux non-humains avec lesquels il entretient des rapports spécifiques » (Latour).
Le paradigme de l’action
Réfléchir à l’implication des ‘collectifs’ dans la dynamique des mouvements citoyens, oblige à revenir sur les concepts développés par les théories de l’action. Le paradigme non moderne de l’action définit l’acteur comme tout élément introduisant une différence dans le cours de l’action et qui en modifie le déroulement dans une épreuve. L’acteur ne se détache cependant pas de l’intentionnalité, sans laquelle tout objet non-humain pourrait être qualifié d’acteur, puisqu’il modifie la réalité.
Il semble donc important de distinguer les collectifs ‘citoyens’ des collectifs de citoyens, la différence étant fondamentale puisque les premiers se regroupent dans l’intention d’avoir une action citoyenne, alors que les seconds sont rassemblés (l’emploi du participe passé témoigne de la passivité) par le partage de ressemblances ou par la volonté d’un autre (parfois institutionnel). Les collectifs de défense des sans papiers ou encore du ‘jeudi noir’ sont des exemples des premiers, le regroupement par un avocat des plaintes individuelles contre le laboratoire Servier dans l’affaire du Médiator, représente le second type de collectif.
Enfin, afin de cerner comment les collectifs sont en mesure d’agir sur le déroulement d’une épreuve, il est nécessaire de distinguer ceux dont l’action est uniquement collective, c'est-à-dire portée par un seul acte groupal, de ceux dont l’action est distribuée et située. Il s’agit ici des collectifs dont l’organisation (par une répartition des fonctions) permet une action stratégique : les mouvements politiques en sont des représentations.
Un exemple de révolte citoyenne
Afin de démontrer la pertinence de ce paradigme pour traiter des collectifs en tant que forme d’action citoyenne, nous avons choisi un évènement récent et remarquable du point de vue de ses actions : la révolte tunisienne.
A la suite du geste tragique de Mohammed Bouazizi, des rassemblements se formèrent, se regroupant entre eux jusqu’à créer un collectif qui exprima son mécontentement face au pouvoir dans de grandes manifestations. Il s’agissait donc bien d’un collectif fondé dans une même intention citoyenne double : l’expulsion du régime en place et son remplacement par une démocratie. La formalisation de ce collectif renversa le déroulement de l’histoire tunisienne, dans une épreuve du peuple contre le gouvernement.
Pour autant, ce collectif ne s’inscrit pas dans une action distribuée et située à des fins stratégiques puisque le mouvement ne disposait d’aucune forme d’organisation interne. C’est notamment ce qui le différencie des mouvements de contestations représentés par les syndicats en France.
Organisation démocratique et distance vis-à-vis de l’action
Dans un pays tel que le notre, jouissant d’une histoire démocratique relativement ancienne, les différentes valeurs citoyennes se sont institutionnalisées : ce sont des institutions qui sont chargées de garantir leur application et leur maintien. La justice, avec son appareil législatif et son pouvoir d’action représenté par la police, en est un des éléments majeurs. Nous pourrions également citer les syndicats, les autorités de lutte contre les discriminations ou encore la sécurité sociale, porteuse des valeurs de solidarité collective.
Bien que cette institutionnalisation des principes démocratiques constitue une preuve de l’évolution d’un pays, elle provoque un effet de distanciation entre l’action et les citoyens : les individus ne se sentent plus ou moins impliqués dans l’action. A mesure que ces institutions s’intègrent à de nouveaux groupements, comme c’est le cas en ce qui concerne les institutions européennes, le sentiment de capacités d’agir des individus diminue, autant que leur distance vis-à-vis de l’action croit.
La création de collectifs citoyens peut donc apparaître comme un moyen de rapprochement entre les citoyens et l’action. Ils peuvent contribuer à redistribuer des ‘pouvoirs’ et des ressentis de pouvoirs sur l’environnement, et contribuer ainsi à transformer les citoyens en ‘acteurs’, ce qui engendrera certainement une plus grande implication et donc des responsabilités assumées.