Les banlieues, la décolonisation et la société française
Au début des années 60 et durant les « trente glorieuses » (période de grande croissance économique), la France a eu un fort besoin de main d’œuvre pour développer son économie. La génération des « baby boomers » (explosion des naissances de l’après guerre) ne travaillant pas encore, nous avons dû faire appel à des compétences extérieures. Plusieurs millions de personnes d’origines maghrébines, portugaises et de certains pays d’Afrique noire (comme le Sénégal) se sont donc installés en France pour répondre à la demande…
Les banlieues et la mise à l'écart
La plupart des populations émigrées ont été installées dans des « nouveaux ensembles » à l'extérieur des villes existantes, en « banlieues ». Ces espaces ont été construits dans une double perspective : permettre à des centaines de milliers de personnes de se loger tout en leur assurant une proximité de leur lieu de travail. On peut aussi imaginer que le "bénéfice secondaire" de ces banlieues était la mise à distance de ces populations avec les "vraies villes" françaises et ainsi d'éviter le mélange avec les autochtones. Regroupés en quartiers constitués de barres d’immeubles bétonnés, ces ensembles souvent austères traduisent une approche dépréciative voire excluante des populations qui vivent. En cela, ces formes de mises à l’écart peuvent être comparées à celles exercées par la France, durant des siècles, au sein de ses propres colonies…
Décolonisation et inconscient collectif
On peut imaginer que la période de décolonisation, synonyme de déclin de la puissance française dans de nombreuses régions du monde, ait été vécue comme une blessure narcissique terrible pour la France (et les français). La plus profonde de ces blessures est très probablement la guerre d’Algérie (1958-62) dont le niveau de barbarie et d’ultra violence a longtemps été dissimulé (y compris dans les manuels d’Histoire des jeunes français). On peut difficilement imaginer que les traumatismes liés à la perte de la quasi-totalité des colonies combinés à ceux, massifs, des guerres d’indépendances aient pu rencontrer une véritable résilience dans une France où les sentiments et les ressentis s'exprimaient globalement peu. En effet, la honte et la culpabilité liés à l’objet même de ces guerres (combattre des peuples que la France avait envahi et mis sous domination pendant des siècles) ainsi que les défaites militaires associées ont contribué à la mise sous silence des blessures, des traumatismes personnels et collectifs…
Histoire, inconscient collectif et banlieues
On peut voir dans l’émergence des « banlieues », au début des années 60 (au lendemain de la décolonisation), une série d’expressions inconscientes liées à cette Histoire non digérée, peu ou pas mise en conscience. En cela, le fonctionnement de domination et de contrôle exercé par la société française sur ses banlieues, parle à la fois de cette longue Histoire coloniale, du désir de toute puissance qu’elle a suscité et de l'incapacité (inconsciente) à en faire réellement le deuil. Elle peut également traduire la persistance de profondes rancœurs et de violences latentes à l’encontre des populations qui ont regagné leur indépendance vis-à-vis du « grand frère français ».