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Le traitement médiatique des crimes passionnels
Bien qu’ils se traduisent par la mort, les crimes passionnels exercent une sorte de fascination sur le public et les médias; presque une passion… Serait-elle donc contagieuse?
Le consentement social
Alors que l’acte meurtrier suscite généralement l’effroi, le crime passionnel semble globalement admis par notre société, au même titre d’ailleurs, que les violences conjugales dont ils représentent la manifestation la plus extrême.
L’une des explications de cette tolérance est sans doute à rechercher dans les représentations qu’ils véhiculent : la passion, la folie, la peur de perdre l’autre et le choix ‘digne’ de mourir plutôt que de vivre une séparation.
Ces associations témoignent d’un processus de distanciation, par lequel le meurtrier n’est plus pensé comme ‘malade’ ou cruel, mais comme une victime submergée par la violence de la passion amoureuse : la violence n’est pas associée au meurtrier mais à la passion.
La raison de ce détachement procède de la mise en œuvre d’un mécanisme de défense, émanant du processus d’identification du public envers le criminel, car il se reconnaît dans les émotions extrêmes que peuvent susciter les amours.
Le suicide du meurtrier
Il n’est pas rare, lorsque le mari tue sa femme (l’agresseur est très rarement la femme), qu’il mette fin à ses jours à la suite de son acte. Lors de ces dénouements, la tolérance du public et des médias est accrue par le recouvrement que le suicide opère sur l’acte criminel.
Le suicide apparaît en effet comme la preuve ultime d’amour d’un individu préférant l’union dans la mort à la séparation dans le réel. Cet acte tend à supprimer la volonté de la victime de se séparer de son conjoint ainsi que la fin de son amour pour lui.
Ainsi, le passage à l’acte occupe une fonction sociale de négation de l’une des peurs les plus anciennes de l’être humain : celle de la perte de l’amour maternel. Il rappelle nos angoisses primaires devant la séparation impensable entre le nourrisson et sa mère.
L’angoisse de la perte
La passion se caractérise par la fusion de deux êtres : les identités individuelles s’effacent au profit de l’élaboration d’une identité commune. Au niveau inconscient, les Moi des deux partenaires se confondent, rappelant les mois durant lesquels le nourrisson n’avait pas de Moi propre.
La période fusionnelle représente une étape normale du procédé amoureux, elle précède un mouvement de ‘défusion’, parfois traduit par une crise mais qui permet aux partenaires de retrouver leur identité propre et de construire une relation équilibrée dans laquelle chacun peut s’épanouir.
Le crime passionnel pourrait ainsi s’expliquer par le refus, de l’un des partenaires, de rompre cette fusion, de se séparer de ce Moi commun et de retrouver le sien, cette séparation étant vécue comme une perte impossible d’une part de lui-même.
Cette angoisse de la perte est inscrite dans l’inconscient de chacun d’entre nous puisqu’elle est inhérente au vécu relationnel du nourrisson envers sa mère. Nous pouvons donc nous demander si la tolérance médiatique et sociale pour les crimes passionnels, notamment accompagnés de suicide, ne traduit pas une défense inconsciente et archaïque contre la reviviscence de cette peur, réactivée par le destin amoureux du couple tué.