Le fétichisme des pieds est-il une perversion ?

Dans les contes ou le langage populaire, le pied est une zone corporelle chargée de symbolisme. Il est soit la clé qui ouvre le cœur du prince (Cendrillon) soit l'équivalent d'un évident plaisir. Comment les pieds parviennent-ils à susciter l'intérêt ? Que révèlent-ils de la sexualité ?
 

 Dans les Trois essais sur la théorie sexuelle, Freud choisit le pied pour décrire le fétichisme, qu'il définit comme étant le substitut impropre de l'objet sexuel. La visée de la sexualité serait d'accéder à un acte sexuel génital. Avec l'élection d'un fétiche, l'énergie libidinale est déviée de la sphère génitale vers un objet dépourvu d'un érotisme évident. Cette déviation de l'intérêt sexuel et le comportement que le fétichiste développe envers son objet évoque pour Freud la déférence mystique du primitif pour son dieu (fétiche). C'est ainsi qu'il forge le terme de fétichisme.
 

Etymologiquement, perversion équivaut à détournement. Ce n'est que tardivement qu'un sens moral lui a été ajouté (XVIIème siècle). Pour la psychanalyse, le terme de perversion n'implique pas le jugement éthique qui l'accompagne aujourd'hui. Il décrit le fait constaté. Face au détournement de la fonction initiale d'un objet ou d'une partie du corps, les psychanalystes ont exposé des théories qui reposent sur l'histoire individuelle du sujet. Ces théories réfutent de facto l'idée même d'une norme générale. La création individuelle d'un comportement ne s'efface jamais derrière une référence globale.
 

Objet symbolique, le pied est le support sur lequel se dresse le sujet. Doté d'une grande puissance musculaire, lorsqu'il fait défaut, cela entraîne une situation instable voire une chute. Il est, de plus, très innervé, à l'instar de la main à laquelle il est intimement lié (théorie de l'évolution). Il focalise donc notre attention (psychologie) mais aussi nos sensations (neurologie). En cela, il est un cousin de l'appareil génital. Il est ainsi courant de voir que le pied est traversé par l'orgasme : tensions, raideurs, crampes…

De proche en proche, tout ce qui environne le pied (chaussettes, bas, chaussures, vernis, odeurs…)devient concerné par cet intérêt initial pour l'objet corporel. Son fétichisme s'élargit et décrit toute énergie sexuelle dirigée vers cette aire.
 

Un attachement pour le pied ne pose en général pas de soucis aux partenaires si cela demeure inséré dans une sexualité plus large? C'est même l'occasion de découvrir son amant(e) de la tête aux pieds et de partager un moment d'érotisme et de sensualité. Les plaisirs tirés de la sexualité sont polymorphes et ne se laissent pas "encadrer" ni réduire. Ils excluent bien souvent la question du normal et du pathologique. Toutefois, dans certaines situations, ce. plaisir. fétichiste prédomine et ne permet plus une sexualité épanouissante. Loin de jeter l'opprobre sur les fétichistes des pieds, il semble plus important de les respecter et d'entendre à quelle histoire personnelle cette fixation exclusive peut se rattacher. 

Ecoutés et compris, ils seront alors plus enclins à élargir la sphère de leurs attraits sexuels. Leur libido libérée pourra alors s'emparer d'autres objets d'amour. En fait, tout désir sexuel contient une part fétichiste (excitation à la vue des seins, des yeux, intérêt pour la voix, les mains, …). Seule l'aliénation à un objet ou une situation unique peut être problématique puisqu'elle ne laisse plus aucune liberté au sujet qui en devient alors l'otage.