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Le Droit est-il réservé à une élite?
Alors que la connaissance du droit est essentielle à la compréhension des règles et des limites de la société, il est indéniable que peu de français maîtrisent une Loi que pourtant, ‘nul n’est censé ignorer’.
La connaissance du droit comme source de pouvoir
De tous temps, la maîtrise des règles de droit fut au cœur des stratégies de prise de pouvoir des dominants sur les dominés. A Rome par exemple, au temps du prélude de la République, le patriarcat conservait les lois au sein des grandes familles afin que la plèbe ne puisse asseoir ses contestations sur les lois.
Plus récemment, nous pouvons citer la résistance des pouvoirs publics à informer les citoyens des lois leur permettant de se soustraire au service militaire : dans la loi du 29 décembre 1963, l’article 50 interdit « toute propagande, sous quelque forme que ce soit, tendant à inciter autrui à bénéficier des dispositions de la loi dans le seul but de se soustraire à ses obligations militaires ».
En matière de jugement aussi, il est certain que des pressions ont existé afin de cacher aux accusés leurs droits. Sous l’Ancien Régime, les tribunaux de l’Inquisition avaient créés une règle de droit qui privait l’accusé de la connaissance des charges retenues contre lui, des témoins ainsi que des preuves accumulées. Ces techniques avaient pour but d’amener le suspect à transmettre des informations en cherchant à se défendre.
Encore aujourd’hui, la réforme de la garde à vue témoigne de la persistance de ces enjeux, certains estimant que la présence d’un avocat dans les premières heures de retenue policière, aurait un impact négatif sur la conduite des enquêtes.
Les risques de l’ignorance
En France, les règles de droit ont été créées afin de garantir la justice sociale, c'est-à-dire l’égalité de droit et l’égalité de chance entre tous les citoyens. Les lois se posent donc comme la garantie d’une équité entre les plus faibles et ceux qui possèdent les ressources. Or, si nul n’est censé ignorer la loi, il est important, voire essentiel, de rappeler que le droit ne s’applique que dans la mesure où le délit est rapporté à la justice. Autrement dit, la loi n’intervient pas sans dénonciation (par la victime ou pas les forces de l’ordre). Ainsi, celui qui ne connaît pas ses droits n’aura d’une part, pas conscience d’être lésé, mais d’autre part, ne sera pas protégé par la loi (sauf en cas d’information des forces de l’ordre).
La méconnaissance de la loi entraîne une autre conséquence que la non-protection des victimes, à savoir le risque de désordre social. En effet, la loi n’est applicable que dans la mesure où elle est connue par les citoyens, plus exactement, que la menace de la sanction du non-respect de la loi est perçue. « Il faut pour être juridique, que la norme soit connue et qu’elle reste connue par le sujet, afin que la menace soit ressentie, faute de quoi il n’y a pas de pression ; et du pouvoir, faute de quoi la pression n’est pas exercée » (1)
Une ignorance organisée ?
Quand et comment les citoyens français apprennent-ils les règles de droit ? Nous ne parlons pas ici, de lois spécifiques à certains domaines et dont la maîtrise nécessite des études particulières ; non, nous parlons des lois élémentaires qui correspondent aux situations vécues quotidiennement par les français : les lois relatives au travail, aux logements ou encore les lois en matière de discrimination, de droits des femmes et des enfants etc…
Est-il ‘normal’ et acceptable, dans un pays de droit tel que la France, que l’éducation nationale, qui se veut pourtant représenter l’école de la République (et donc l’égalité de droit et l’égalité des chances) ne transmette pas les lois qui régissent notre société ? Ces connaissances n’entrent-elles pas dans la préparation de nos enfants à une intégration du monde adulte ?
L’accès à la loi n’étant pas organisé par la société, seuls ceux qui ont obligation de la connaître la maîtrise, c'est-à-dire deux catégories d’individus : ceux qui l’utilisent dans leur profession, et ceux qui souhaitent la détourner.
On pourrait objecter à ces arguments, le libre accès de tous les français au droit. En effet, nulle loi n’est plus secrète, chacun peut, s’il le désire, la consulter. Certes, mais chacun reconnaîtra que la complexité du vocabulaire juridique est un frein évident à sa maîtrise par tous ceux qui ne disposent pas de formation juridique. Ne serait-ce pas là, une nouvelle façon d’éloigner le droit des simples particuliers ?
(1) L. François, Le problème de la définition du droit, Liège, 1978