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Le développement de la presse People
Appréciée ou violement critiquée, la presse People n’en est pas moins un phénomène majeur de la scène médiatique. Elle est d’ailleurs la seule presse écrite à annoncer des ventes en augmentation.
Des vies à vendre ?
Notre société hypermoderne a vu l’avènement d’une culture de la mode, d’un culte de l’apparence et de l’éphémère, par lequel chaque individu tente de briller en prouvant son unicité, son originalité et donc en cherchant, par tous les moyens, à se différencier d’autrui, à ‘sortir du lot’.
En ce sens, le phénomène ‘People’ apparaît comme la traduction de la logique de mode au monde des Hommes : les People sont devenus une marchandise exploitée par les média pour augmenter leurs ventes.
Le phénomène n’est pas unilatéral, de nombreux people, aux premiers rangs desquels se trouvent les stars de la télé-réalité, se considèrent elles-mêmes comme une marchandise et tentent alors de vivre, comble du narcissisme, de la simple vente de moments de leur vie. Pris dans cette même logique de mode, ces moments se doivent de témoigner de l’unicité de leur histoire et poussent ainsi à une surenchère du sensationnel (positif ou négatif) : « Beaucoup sont prêts à tout ! Certains ont compris le système et se servent de la presse pour tenter de rester le plus longtemps possible sous les feux des projecteurs. Il y a une connivence évidente entre certains journaux et ces pseudo-vedettes de télé réalité. Les chaînes, la presse… Tous travaillent ensemble pour faire monter un soufflet qui retombe une fois les caméras coupées » (1).
Un substitut pulsionnel
La plongée au cœur de la vie des people, permise par une presse qui dévoile de plus en plus d’éléments de leur vie intime, offre aux lecteurs un moyen de projection dans une vie fantasmée comme une succession de plaisirs sans aucune contrainte : une vie régie par le principe de plaisirs.
Par ailleurs, lorsque ces stars agissent de façon immorale et/ ou illégale, elles offrent une mise en scène des pulsions d’agressivité et de destruction (pulsions de mort) présentes en chacun de nous. Les lecteurs, au travers du processus d'identification permis par les photos et les interview, accèdent ainsi à ce qui ressemble à une décharge proche de la catharsis.
Les enjeux de l’identification
Le développement de la presse People dénote un attrait certain de la société pour ses stars modernes. Cependant, il ne s’agit pas uniquement de s’introduire dans des vies de rêves, mais aussi, et surtout, de s’intéresser à leurs faiblesses, à leurs difficultés et à leurs blessures. Ce processus de ré-humanisation permet sans conteste, de rapprocher les élites du ‘peuple’ en favorisant un ‘partage’ des ressentis douloureux et des épreuves.
Un phénomène de justification semble également à l’oeuvre tel un dédouanement de responsabilité : Le People, fantasmé comme idéal, lorsqu’il est confronté à une problématique, permet à ses ‘fans’ également touchés par cette même difficulté, d’éviter l’introspection et la remise en question : « Ça me fait du bien de savoir que Madonna aussi a eu des chagrins d’amour ou que Demi Moore vit avec un homme bien plus jeune qu’elle…, ce qui est aussi mon cas ».
Un voyeurisme social ?
Le voyeurisme est une perversion du regard étudiée dans le cadre de la psychopathologie. Cependant, au vu du succès rencontré par la presse People, il peut être pertinent de se demander si notre société n’a pas, elle aussi, développée cette perversion. L’activité de la presse people et des paparazzi ne ressemble-t-elle pas à celle du voyeur qui regarde par le trou de la serrure ?
Au niveau individuel, la genèse du voyeurisme prend naissance dans un interdit qui ne serait pas posé au regard. Or, il est évident que notre société n’impose aucun interdit (ou si rarement) aux agirs des paparazzi et que les évolutions technologiques offrent encore davantage de possibilités au regard.
Il est également pertinent d’appréhender l’objectif de la presse people. En effet, il ne s’agit pas seulement de se saisir d’une image intimiste, mais aussi de symboliser et de décrire, ce qui ne peut l’être: les ressentis de l’autre, surtout quand cet autre représente une élite, dont on cherche à se saisir dans la globalité de son être.
L’existence de la presse people légitime, en quelque sorte, le voyeurisme de toute une société. Elle la dédouane également, puisque là où le voyeur prend le risque de se faire surprendre, ceux qui regardent aujourd’hui, les lecteurs, se cachent derrière leur magazine. Par ailleurs, la presse People leur permet de ne plus être simples spectateurs mais de peser sur la vie de leurs idoles: les stars sont en effet contraintes d’adapter leurs comportements en fonction de la présence des paparazzis ou de l’effet que telle parole ou tel acte pourrait provoquer chez leurs fans.
Enfin, nous finirons en abordant les enjeux qui entourent le risque d’être surpris dans les moments de voyeurisme, seul temps durant lequel le regard est ‘vu’ et peut donc être reconnu comme investissement libidinal du voyeur. Une conclusion rapide pourrait être d’estimer que cette fonction 'de la honte d’être pris', ne peut exister au travers de la presse People, puisque les lecteurs ne regardent pas par le trou de la serrure… Pourtant, il suffit de remarquer les réactions des personnes qui sont surprises en train de lire les dits magazines, ne serait-ce pas de la honte qu’elles expriment ?
(1) Extrait d’un entretien avec un journaliste de la presse people