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Le choix du prénom, entre fantasmes et désirs inconscients
Le prénom, objet de fantasme
Le choix d’un prénom, aussi facile ou difficile qu’il soit, n’est jamais le fruit du pur hasard. Il mobilise des processus conscients et inconscients, qui à terme peuvent être révélateurs des désirs et fantasmes ayant présidés à son choix. Les motivations qui président au choix d’un prénom peuvent prendre leurs sources à travers un environnement varié : familial, culturel, social, environnemental, philosophique, religieux… Aussi, un prénom n’est jamais neutre, il raconte toujours une histoire, celle d’un sujet en devenir étayé sur l’histoire familiale et collective qui a présidé à sa venu au monde.
Les conséquences du choix du prénom
Dans tous les cas, ce n’est jamais à proprement parler le prénom en soi qui est source de rejet ou de traumatisme pour le sujet nommé, mais bien le fantasme parental (ou désir inconscient) qui a présidé à ce choix. Autrement dit, la névrose collective renvoie l’humanité à ses propres limites relationnelles, celle d’un vécu subjectif d’incomplétude qui peut induire à leur insu des parents à nommer leur enfant d’un prénom potentiellement traumatisant pour lui. Nous comprenons ainsi comment, dans certain cas, le fait de nommer un enfant peut être une tentative (inconsciente et maladroite) de réparation d’un déséquilibre vécu initialement par les parents.
L’histoire de Sylvie
Sylvie est le deuxième prénom de Mathilde (ce prénom a été changé), qu’elle entend pour la première fois à l’âge de 5 ans, à la sortie de son baptême, lorsque son parrain et sa marraine le lui annonce. « Chouette ! » se dit-elle, « Je peux le choisir ? », assurée qu’on allait lui répondre par l’affirmatif. On lui explique qu’elle ne le peut pas et s’en trouve très contrariée… Déçue, elle demande alors quel est ce prénom qu’on lui a donné ? « Sylvie ». Elle reçoit alors ce deuxième prénom comme un coup de poignard, comme une malédiction. Elle aime ce prénom qui en même temps la terrorise sans savoir pourquoi.
C’est au cours d’une psychothérapie, à l’âge de 35 ans, qu’elle parvient à dénouer ce mystère, en parvenant à poser quelques questions très précises à son père. Elle était alors obsédée par l'idée qu’elle avait une sorte de jumeau disparu, accompagnée du sentiment d’avoir grandi avec un vide immense. En réalité, ce petit frère désiré a existé. Sa mère s’est retrouvé enceinte lorsqu’elle avait 4 ans et à dû avorter des suites d’une maladie grave. Ses parents avaient toujours voulu deux enfants, le premier étant une fille, ils désiraient un garçon pour le second. Ils ont alors très mal vécu la mort de cet enfant (qui était bien un garçon). Pour reprendre les paroles de son père : « Cela nous a obligé à t'élever seule, ce qui était contre nos principes… ».
Le fantasme à l’œuvre
Mathilde à ainsi pu comprendre pourquoi ses parents ne l’avait baptisée qu'à l'âge de 5 ans. Il n’y a encore pas si longtemps, on ne baptisait un enfant que lorsqu'on était sûr qu’il était viable, le baptême représentant l'entrée dans la vie. Il manquait à Mathilde « sa moitié », tant désirée par ses parents. Mathilde oui, mais s'il vit... Et s’il ne vit pas, est-elle viable sans lui ?
Cela pourrait-il avoir une influence sur le fait que Mathilde se conduit comme un garçon manqué ? Cela est fort probable et auquel cas nous aurions une illustration de l’influence effective que peut produire, non pas un prénom en soi, mais bien le fantasme ayant présidé à son choix. En l’occurrence ici, le désir fort, appuyé sur des principes éducatifs, d’avoir deux enfants de sexe différents, puis le désir inconscient de référer l’enfant vivant à l’enfant mort, afin de continuer à le faire vivre malgré tout. Ce baptême fut aussi l’occasion pour les parents de conjurer le mauvais sort en sacralisant la vie de leur fille tout en respectant la mémoire de l’enfant défunt, venant ainsi marquer la difficulté du deuil parental remis sur les épaules de Mathilde, qui mettra 35 ans à le réaliser.