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Le carnaval : dérision et caricatures
Les carnavals apparaissent à la fois comme des rituels sociaux organisés et comme des temps d’explosion collective et individuelle.
Le carnaval comme libération
Voici comment Friedrich Nietzsche présentait le carnaval : « Vous hommes supérieurs, ce qu’il y a de pire en vous, c’est que vous n’ayez pas appris à danser comme il faut danser, à danser par-dessus vous-mêmes ! (…) Aussi apprenez donc à rire par-delà vous-mêmes ! Haut les coeurs, bons danseurs, haut, plus haut encore ! Et n’oubliez pas non plus le bon rire ! »
Le temps du carnaval est synonyme d’une sorte d’explosion pulsionnelle de notre civilisation réglée par les lois et soumise aux dictats de la bureaucratie et de l’hyper-contrôle (de soi et des autres).
Le psychisme humain est en effet le lieu de fortes pulsions de vie et de mort (Eros et Thanatos), qui sont soumises à de très nombreux mécanismes d’enfermement. Un contrôle interne tout d’abord par le travail du Surmoi, mais également des contrôles sociaux au travers des rituels de politesse et de savoir-vivre et enfin des contrôles sociétaux tels que les lois, l’ensemble des règlements et des activités de contrôles : surveillances policières, télésurveillance, multiplication des technologies de contrôle (gps, mail, téléphone, carte d’identité…).
Dans ce contexte, accentué par la course à la réussite et à la performance, le carnaval apparaît comme un pied de nez socialement accepté, un temps durant lequel chacun perd son identité sous un déguisement et peut enfin libérer son énergie vitale.
Une dérision sociale paradoxale
Le choix des personnages du carnaval constitue un argument en faveur de cette volonté de libération des entraves de l’énergie pulsionnelle humaine : ceux qui sont représentés et caricaturés sont en effet très souvent des figures symboliquement liées à ces contrôles.
Il est également courant d’observer des personnages caricaturant la figure divine : le Dieu vengeur, le Dieu des enfers ou encore le Dieu asexué. On comprend qu’il s’agit ici de se libérer du poids des valeurs spirituelles et morales, ainsi que de nos lois intérieures qui nous conduisent à poursuivre la sagesse.
Bien entendu, nous ne pouvons éviter de souligner le paradoxe dans lequel se sont enfermés les carnavals : celui d’être une ‘révolte’ sociale contre l’ensemble des contrôles, tout en étant organisé par ces mêmes pouvoirs. Joli paradoxe que d’être une loi autorisant le non respect des lois !
Quand il ne s’agit plus d’auto dérision
Tel un sociodrame, le carnaval est auto-dérision au travers de la représentation de la société, une auto critique permettant la libération des pulsions primaires qui nous habitent et que nous ne cessons jamais de vouloir contrôler.
Pourtant la caricature, lorsqu’elle est détournée de sa fonction, peut s’avérer une arme puissante, ravivant les dérives des stéréotypes et des a-priori. Telle fut d’ailleurs son utilisation lors de la chasse aux sorcières organisée par les Etats-Unis face aux communistes ‘rouges’ ou encore durant la seconde guerre mondiale pour réduire les juifs à des caractéristiques alimentant la stigmatisation et la peur.
Lors des incidents qui suivirent les caricatures du prophète Mahomet, beaucoup de journalistes et humoristes durent s’expliquer sur leurs pratiques. Pour notre part, nous avons choisi de retenir l’explication du Figaro qui nous semble rappeler le ‘cadre’ éthique de la caricature : « Je me suis toujours refusé à publier un dessin qui n'est pas drôle ou qui ne délivre aucun message donnant à réfléchir, mais qui vise seulement à blesser ou à détourner de manière gratuite une croyance religieuse. J'ai publié des dessins dénonçant les prêtres pédophiles, mais je n'aurais jamais publié un dessin montrant Jésus en prédateur pédophile. Le message aurait été : tous les chrétiens sont des pédophiles en puissance. »