Mode ZEN
Quelles que soient les attaques du cadre de son travail, le psychologue devra faire preuve de résistance afin d’assurer son maintien en conservant ses règles et ses invariants. Il s’agit également de rester présent quelle que soit la crise, quelle que soit l’urgence, de façon à offrir aux patients ou équipes, un espace contenant et rassurant qui ne se dérobe pas et sur lequel ils pourront venir s’appuyer. N’oublions pas en effet que la créativité est toujours du côté du « faire avec » (le cadre) c’est-à-dire du côté de la transformation.
Le cadre therapeutique
Lorsque l’on réfléchit aux conditions nécessaires à la « réussite » d’une thérapie, on évoque souvent les « seules compétences techniques » du psychologue. Pourtant, pour permettre aux processus psychologiques de survenir, le dispositif méthodologique mis en œuvre s’avère tout aussi essentiel. Qu’il s’agisse de thérapies individuelles de face à face, où l’on parle alors de cadre thérapeutique, ou de thérapies collectives, où l’on utilise davantage le terme de dispositif, ils forment un espace bienveillant et rassurant qui permet, par sa stabilité dans le temps, le déroulement du processus thérapeutique. Si les psychologues sont les seuls à avoir conceptualisé la notion de cadre, son existence dépasse très largement le champ de la thérapie : l’ensemble de notre vie et de la société se structure autour de divers rituels, mœurs, coutumes qui constituent, par leur transmission dans le temps, ce que l’on nomme des méta-cadres.
Les méta-cadres
Si l’emploi du terme ‘cadre’ est régulier dans le jargon des psychanalystes, sa définition peut tout à fait être appropriée à un grand nombre de situations et de métiers. Par exemple, un service hospitalier s’organise autour d’un ensemble de règles, elles-mêmes issues d’une diversité de normes, de lois, de pratiques de sécurité… Leur ensemble constitue un cadre. De même, nos enfants travaillent à l’école à l’intérieur d’un cadre précis : arrivée à 8h30 chaque jour, une récréation par demi-journée, une pause repas le midi, une activité de mathématique le matin… Enfin, nous organisons notre vie familiale sur la base d’un autre cadre telles que les 5 semaines de congés annuels, la planification des grandes vacances en été etc. Quel que soit le domaine considéré, la définition du cadre demeure la même : il est un ensemble d’invariants, plus ou moins complexes, permettant le déploiement de divers processus.
Nos parcours de vie se fondent sur un ensemble de cadres. Certains sont spécifiques, tel celui du cadre thérapeutique, d’autres sont généraux : l’organisation d’une société autour des principes démocratiques constitue un méta-cadre, tout comme un système économique mondialisé qui se fonde sur des règles générales tel que l’équilibre entre l’offre et la demande ou encore la recherche de marges financières.
Au-delà de ces cadres que l’on peut qualifier de ‘concrets’, on retrouve également les mêmes structures concernant les dimensions culturelles: les relations amicales, les pratiques de communication, les rituels de passage d’un âge à un autre etc. L’ensemble de ces cadres supérieurs, à l’intérieur desquels se déploient des cadres plus précis, sont nommés méta-cadre, c’est-à-dire un cadre au-dessus du cadre.
L’affaiblissement des méta-cadres
Ces dernières années, plusieurs phénomènes sociaux sont observables. Parfois compris comme de simples effets de mode, on peut aussi y voir le signe d’un affaiblissement des méta-cadres. Le premier de ces éléments concerne un ensemble de demandes que l’on peut résumer sous le terme « d’appel aux retours ». Nous y englobons le succès de la généalogie, nouvelle passion des français en quête de reconstitution de leurs lignées ancestrales ou encore les élans concernant le retour au terroir, véritable traduction moderne du retour aux sources.
Ce besoin d’identification de ses racines peut être appréhendé comme une nécessité de re-création du méta-cadre constitué par les frontières générationnelles. L’allongement de la vie et l’amélioration globale des situations familiales permettent en effet à nombre de retraités de profiter de nombreuses années supplémentaires. Celles-ci sont pensées comme des temps de loisirs, de détente, de repos… autrement dit comme une nouvelle période de vie fondée sur le plaisir. Cette possibilité, très récente à l’égard de l’évolution des générations, entraine une transformation du méta-cadre puisque seuls les enfants pouvaient auparavant prétendre à une telle période de recherche de plaisirs immédiats.
Le second phénomène social concerne les appels à l’autorité : qu’il s’agisse de l’approche politique et judiciaire de la délinquance, de la nécessité des parents de ne pas transiger avec les règles sous peine de donner une mauvaise éducation à leurs enfants ou encore de la sévérité nécessaire des professeurs envers leurs élèves, on note nombre de voix qui s’élèvent en faveur de l’autorité. Or, Lacan et bien d’autres, nous ont appris que l’autorité ne pouvait se fonder que sur la reconnaissance de sa légitimité, sous peine de se transformer en autoritarisme. Un homme, une règle ou une loi doit être considéré comme légitime au regard de celui qui est censé l’appliquer, pour faire autorité. Or, aujourd’hui, on peut remarquer que nombre de délinquants ne reconnaissent pas de légitimité à la police dans sa mission de respect de l’ordre et de bras armé de la justice. De même, concernant les adolescents qui quittent le système scolaire, beaucoup témoignent, eux aussi, d’un rejet de l’école en tant que socle à l’égalité des chances. Ils ont ainsi en commun un affaiblissement des méta-cadres, qui, pour eux, ont perdu leurs constances et leurs bienveillances.
Retour au cadre thérapeutique
Si notre propos est de démontrer, dans cet article, l’importance du cadre, il n’en demeure pas moins qu’il est bien souvent questionné voire attaqué. L’adolescent, par exemple, rejette les règles familiales, alors même qu’elles permettaient jusqu’alors un épanouissement de chacun ou tout du moins, le socle de la vie en commun. Le psychologue du travail intervenant sur des conflits professionnels ou encore le psychanalyste recevant un enfant violent, peuvent tous deux se voir accusés d’être « gentils » ou « méchants » tantôt parce qu’ils conservent leur posture bienveillante, tantôt parce qu’ils stoppent le travail dès lors que le dispositif n’est plus respecté (en refusant, par exemple, de recevoir en dehors des horaires prévus). Ces réactions de l’entourage peuvent, à première vue, sembler étonnantes mais elles n’en sont pas moins réelles : la bienveillance du psychologue est tantôt appréhendée comme une forme de gentillesse (sous-entendue comme une attitude qui ne permet pas d’être objectif), tandis que le refus de poursuivre une séance dès lors que l’enfant a brisé les crayons de couleur, est parfois interprété comme une forme de méchanceté.
Au regard des éléments présentés ci-dessus, il est possible de comprendre ces phénomènes et d’en proposer une explication. En effet, ces réactions sont très souvent observables dans des situations familiales ou professionnelles dans lesquelles les méta-cadres ont été transformés ou attaqués. Par exemple, dans le champ du travail, l’arrivée massive de jeunes diplômés hautement qualifiés au sein d’une direction dans laquelle les personnes étaient entrées par nécessité et avaient progressé au fil des années, peut aboutir à bouleversement des repères communs. Le psychologue du travail pourra ainsi être amené à inclure, dans ses objectifs, celui de la reconstruction des méta-cadres, par exemple, en préconisant une réflexion autour d’un règlement partagé pour définir et maintenir, pour tout à chacun, ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.
Quelles que soient les attaques du cadre de son travail, le psychologue devra faire preuve de résistance afin d’assurer son maintien en conservant ses règles et ses invariants. Il s’agit également de rester présent quelle que soit la crise, quelle que soit l’urgence, de façon à offrir aux patients ou équipes, un espace contenant et rassurant qui ne se dérobe pas et sur lequel ils pourront venir s’appuyer. N’oublions pas en effet que la créativité est toujours du côté du « faire avec » (le cadre) c’est-à-dire du côté de la transformation.