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La télévision privée et « le temps de cerveau disponible »:
La déclaration de Patrick Le Lay, ex-président de TF1, affirmant que le rôle de la chaîne est d’offrir « du temps de cerveau disponible » aux grandes marques afin de pousser les téléspectateurs à la consommation a levé le voile sur la manipulation exercée par la télévision.
Télévision et influence mentale
A la question de savoir si les images et messages véhiculés par la télévision au travers des émissions et des publicités diffusées, sont en mesure d’influencer nos jugements et nos actes, l’expérience de Christophe Nick « Le jeu de la mort » a donné une réponse sans aucune nuance possible.
Présentée comme un jeu télévisé, l’expérience consistait, sous la seule présence d’une animatrice, à influencer les sujets de sorte qu’ils envoient des décharges électriques à un candidat à chaque mauvaise réponse. L’intensité augmentait en fonction des erreurs jusqu’à atteindre un niveau mortel.
En 1960, les résultats obtenus dans l’expérience similaire de Milgram avaient démontré que 61% des sujets avaient été capables d’envoyer des décharges mortelles de 460 watts, sous la seule autorité d’un chercheur. En 2010, ils furent 81% à accepter… et sous la seule influence d’une animatrice de télévision !
Un instrument de domination totalitaire ?
Soumis à la pression de la course à l’audimat, la télévision multiplie les émissions du spectaculaire et du sensationnel, en partant du principe que la stimulation émotionnelle happera le téléspectateur. Dans le même temps, notre société hypermoderne est devenue l’éloge de l’individualisme, sous l’égide de la logique de la mode qui érige l’originalité en modèle de réussite et disqualifie du même coup ce qui est commun, collectif et partagé.
La maxime morale de notre société n’est donc plus celle d’être un Homme de bien et d’honneur, ou encore un Homme de savoirs, non ; le nouvelle axiome moral est « conduis-toi de telle façon que si tu te voyais à la télé, tu ne zapperais pas »(1).
Cette banalisation de ‘l’énorme’ et de la forte émotion a-t-elle une conséquence sur notre personnalité ? Oui à l’évidence, car les structures de l’inconscient et les défenses psychiques humaines sont ainsi faites qu’elles oeuvrent pour la protection de notre équilibre psychologique. Face à une surcharge émotionnelle, le psychisme agit au travers du processus de distanciation qui permet de lever partiellement ou totalement l’empathie naturelle éprouvée envers nos semblables.
Ainsi l’exposition permanente à des images plaçant des individus dans des positions à fortes consonances émotionnelles peut modifier à long terme nos relations à autrui, restreindre notre empathie et développer notre insensibilité. A l’extrême, le processus de distanciation conduit à la déshumanisation, laquelle ouvre la porte aux comportements barbares, qui furent notamment à l’œuvre dans l’extermination des juifs par les nazis.
Pourquoi un tel pouvoir ?
L’étude des réseaux de résistants français au cours de la seconde guerre mondiale montra que l’appartenance à des réseaux sociaux était déterminante. Or, il est certain que notre société a conduit de plus en plus d’individus vers l’isolement et la solitude, tout en diminuant considérablement les temps de paroles, d’échanges ou de dialogues laissant place à l’élaboration de la pensée.
Ainsi, en plus de passer un temps accru devant la télévision, en plus de nous exposer à une surenchère émotionnelle, nous sommes seuls devant notre écran, qui devient l’un des seuls moyens de confrontation aux autres, à leurs comportements et à leurs paroles.
(1) Propos d’Alexandre Lacroix, rédacteur en chef de Philosophie Magazine, lors du débat Infrarouge sur France 2 "Jusqu’où va la télé ?"