La professionnalisation des violences urbaines
Ce phénomène, largement dénoncé par les services de l’Etat (policiers mais aussi services d’urgence des pompiers et du Samu) décrit un mouvement de structuration et d’organisation des activités délinquantes.
De l’ombre à la lumière
Les différents acteurs intervenant dans le domaine de la sécurité s’accordent pour témoigner d’une modification des groupes sociaux formés par les auteurs des violences urbaines. Il semble en effet qu’en plus de s’organiser, les délinquants osent de plus en plus agir à la vue de tous.
Qu’il s’agisse des trafics de stupéfiants qui prennent place en plein centre ville, des vols à l’arrachée commis devant les passants dans les transports en commun ou encore des cambriolages exécutés en présence des locataires, il semble que les délinquants n’aient plus la volonté de se cacher.
Cette exposition des délinquances, qui sortent désormais des caves, des entrepôts déserts et autres immeubles désaffectés s’accompagne d’un double mouvement de ‘sortie’ des banlieues et des quartiers difficiles et, finalement, d’une ‘intégration’ de ces violences à l’ensemble de la société.
La professionnalisation
Les différents syndicats de police s’accordent pour dénoncer ce phénomène : « Nous constatons de plus en plus une banalisation et une professionnalisation des violences urbaines déclenchées par des délinquants dont la stratégie consiste à anticiper ou empêcher les opérations de police ».
Cette tendance est notamment très marquée en ce qui concerne les trafics de stupéfiants. Les dealers n’y apparaissent plus comme des petits groupes d’individus isolés agissant dans le secret, mais comme des membres d’une véritable entreprise.
Les responsabilités sont réparties à différents niveaux hiérarchiques, les missions nécessaires à la conduite de la tâche (dans ce groupe, le trafic de drogue) sont clairement identifiées, les fonctions sont réparties entre les membres du groupe, un règlement est appliqué collectivement (horaires, temps de pause…), des moyens sont mis en œuvre pour acquérir et améliorer les techniques et méthodes, les savoirs-faire sont valorisés.
Enfin cet ensemble prend forme dans un lieu de ‘travail’ clairement identifié, reconnu et investi. Cet environnement de travail est d’ailleurs modifié pour faciliter la tâche (les boîtes aux lettres et appliques des lumières sont détruites car des caméras pourraient y être cachées par les policiers).
La police, une ‘concurrence’ ?
La structuration des activités délinquantes s’accompagne d’une distanciation des valeurs de bien et de mal socialement associées au travail des policiers versus celui des délinquances. Il est en effet certain que les agents des forces de l’ordre ont perdu, pour ces populations, leurs fonctions de garanties de la justice et donc, par extension, de la loi, ensemble de règles séparant le ‘bien’ du ‘mal’.
Dans ce cadre, le groupe constitutif des trafics de stupéfiants ne semble plus percevoir la Police Nationale que comme une autre organisation faisant opposition au fonctionnement de leur activité : les méthodes de travail des agents sont donc étudiées, comme le seraient celles d’une entreprise concurrente, afin de mettre en œuvre des stratégies pour les contrer. La définition par les syndicats de police, de ces phénomènes sous le terme de ‘professionnalisation des violences urbaines’ prend ici tout son sens.
Quels peuvent être les apports de la psychologie ?
L’étude de ces phénomènes par les sciences humaines a certainement beaucoup à apporter à leur compréhension. Il est bien difficile, en effet, de ne pas constater des ressorts défensifs en étant témoin de la violence des réactions suscitées par l’entrée des représentants de l’Etat dans un territoire investi par les groupes structurés décrits plus haut.
Devant les mécanismes conduisant à la mise à jour des actes délinquants au vu et au su de tous, comment ne pas se demander s’ils ne résultent pas de l’échec du silence et de l’aveuglément de la société devant la misère des quartiers sensibles et l’impossibilité pour ses habitants de sortir des ghettos ? Les travaux de psychologues et psychanalystes ont en effet démontré depuis longtemps qu’il existait des mécanismes complexes par lesquels l’esprit écarte de la conscience les choses déplaisantes et intolérables pour son intégrité et la survie du groupe auquel il appartient (voir l'article Travail et Société). Ne s’agit-il pas de cela, finalement ? D’une lutte entre des appareils psychiques groupaux devenus si différents ?
Enfin, pour revenir au thème de la professionnalisation des violences urbaines, si l’on se place du point de vue clinique et non de celui de la justice, si comme ces groupes, nous abandonnons nos références au bien et au mal, ne peut-on voir dans leur volonté de structuration, une tentative de construction d’une société dans laquelle ils sont enfin parvenus à occuper une place reconnue et valorisée ?
Finalement, nous en venons à nous interroger sur notre perception, n’est ce pas nous qui avons refusé de voir la réalité de notre société ? La professionnalisation des violences urbaines ne serait-elle pas, pour les habitants de ces quartiers, l’une des seules activités intégrant le principe de réalité (la leur) ?