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La crise profonde de la presse en France
En juin dernier, un rapport de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique) venait confirmer des constats déjà nombreux : la presse quotidienne traverse une profonde crise.
Une crise ou des crises ?
S’il est légitime de se questionner sur le singulier ou le pluriel à placer devant le titre ‘crise de la presse’, c’est parce que les tentatives sont grandes d’attribuer les difficultés de la presse quotidienne à la seule explosion d’Internet. Beaucoup dénoncent en effet la désaffection de la population (jeune notamment) vis-à-vis du papier ainsi que la gratuité des contenus sur le web qui handicape les ventes des journaux papiers.
Pourtant, plusieurs éléments viennent en contradiction de ces suppositions. Tout d’abord, l’affirmation selon laquelle les français délaissent le papier et la lecture semble erronée : le salon du livre rencontre toujours un grand succès, les ventes des livres pour la jeunesse ont augmenté de près de 20% sur l’année 2010, la dernière rentrée littéraire a été d’une grande richesse, et enfin, les presses spécialisées, la presse people et les magazines de psychologie et de bien-être sont loin d’afficher des chiffres en berne.
Ainsi, ces données démontrent que la baisse des ventes de la presse quotidienne ne peut être attribuée aux seuls facteurs externes que seraient le développement de la presse sur Internet et du numérique : ce sont précisément les quotidiens d’actualité qui semblent boudés par les français. L’existence de facteurs endogènes est donc évidente.
Pour autant, ce phénomène ne semble pas se limiter à l’hexagone puisque le rapport de l’OCDE (lien) souligne que l’édition de journaux quotidiens a chuté dans plus de 20 pays sur les 30 concernés par l’étude. Une conclusion s’impose: la presse écrite quotidienne régresse dans les pays riches.
Un citoyen absent ?
Les journaux quotidiens proposent des contenus relatifs à l’actualité : nationale, politique, économique, internationale etc… Ils offrent donc des regards sur notre société, publient des analyses et des critiques sur des questions sociales et participent au débat démocratique en respectant une éthique basée sur l’objectivité et la neutralité.
Notre propos n’est pas de nous questionner sur l’indépendance de ces médias et de l’influence supposée des grandes entreprises et des pouvoirs politiques. D’autres seront en effet bien plus perspicaces que nous sur ce thème.
En revanche, notre regard se porte sur la question de la citoyenneté, vécue comme un ensemble d’individus situés sur un territoire et partageant des valeurs et une histoire commune. En ce sens, la citoyenneté participe du lien social. Se tenir informé de l’actualité nationale et internationale est donc un moyen de se lier aux individus dispersés sur le territoire et dans le monde, de continuer à partager des informations et des préoccupations communes etc… Il nous semble donc pertinent de rapprocher la crise de la presse quotidienne de la logique individualiste de nos sociétés de consommation (qui correspondent aux pays riches).
Un déni de la réalité ?
Hyper-consommation, culte de la performance, libéralisme et explosion du numérique envahissent notre société. D’un côté, la logique marchande pousse l’Homme vers le matériel et le superficiel et exacerbe son narcissisme ; d’un autre côté, la mondialisation et la suprématie des marchés internationaux écrasent l’individu et le confrontent à son impuissance : délocalisation, guerre, épidémie, catastrophes naturelles, pollution, explosion de la précarité et du surendettement etc… autant de phénomènes qui ne semblent pas pouvoir être stoppés.
L’Homme se trouve donc au cœur d’une injonction paradoxale flagrante, face au fonctionnement d’une société qui valorise son narcissisme, mais qui, dans le même temps, ne fait que lui rappeler son impuissance.
Si l’on admet que les informations d’actualité publiées par les journaux quotidiens représentent le vecteur principal de cette démonstration d’impuissance, alors nous pouvons nous demander si le recul des ventes ne correspond pas à un refus des individus, de prendre conscience de leurs incapacités : ne plus acheter la presse quotidienne n’est-il pas la conséquence d’un comportement d’évitement, symptôme d’un déni de la réalité de notre monde ?