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L’identité nationale française
Si tous semblent d’accord pour remettre en question l’image du français portant le béret et la baguette, le fiasco du récent débat sur l’identité nationale nous a montré à quel point cette question ‘d’être français’ demeure sensible.
Origines d’une controverse
Dans son livre ‘L’identité nationale, une énigme’, Marcel Détienne, un célèbre anthropologue et helléniste (spécialiste des études grecques) date la naissance de la notion d’identité nationale aux années 1870, c'est-à-dire à la période où l’histoire devient une question de professionnels, comprenez les historiens.
A ceux qui traitèrent de ce sujet (Histoire de France d’Ernest Lavisse en 1900, L’identité de la France en 1986 puis Lieux de mémoire de Pierre Nora en 1992), il reproche d’avoir célébré la France telle un mythe quasi-religieux, une terre d’excellence, rare et singulière. Ce culte de la ‘suprématie’ française expliquerait, selon lui, les logiques politiques de glorification de la mémoire nationale, discours qui exclut d’emblée la mixité de la population française et son métissage.
La question de l’identité nationale nous semble entrer dans les problématiques des identités collectives, elles-mêmes en lien avec les normes sociales (modèles de conduite auxquels nous sommes censés nous conformer à un moment donné et dans un groupe donné) et les représentations sociales (phénomènes complexes, toujours activés et agissant dans la vie sociale. Elles sont composées d'éléments divers qui ont longtemps été étudiés de façon isolée : attitudes, opinions, croyances, valeurs, idéologies…).
Identité de soi, identité de l’autre
Si l’identité renvoie littéralement à ce qui est identique et semblable, l’altérité caractérise ce qui est autre, c'est-à-dire différent. A premières vues, l’un serait donc le strict opposé de l’autre. Pourtant, comment se penser, si ce n’est en se comparant à l’autre ? La connaissance de soi se définit en effet en partie par la reconnaissance de l’autre en tant que groupe identitaire différent.
Ainsi, si l’on admet que l’existence d’un autre appartient aux processus de construction d’une identité propre, la question pertinente semble donc se porter davantage sur la nature des relations existantes entre ces deux groupes. Or, on constate que cet Autre est bien souvent perçu comme un adversaire sur lequel sont projetés les origines de nos propres maux, ce mouvement servant à réaffirmer son identité et sa valeur positive en expulsant les valeurs négatives sur l’Autre.
Nous pouvons donc conclure que la définition de soi, comme membre d’un groupe porteur d’une identité collective (celle de français pour le sujet qui nous intéresse), se construit, non pas dans la comparaison entre soi et l’Autre, mais plutôt dans la compréhension de la dynamique du rapport à l’Autre, notamment par le biais des mouvements d’exclusion et d’inclusion.
Identité, représentations sociales et mémoire
La formalisation de l’identité collective se construit, nous l’avons vu, au travers du rapport à l’autre, mais aussi par la reconnaissance des similitudes des représentations, des images ou encore des symboles à l’intérieur du groupe. De plus, ces éléments permettent la construction d’un système de significations partagées et fondent donc l’homogénéité des liens sociaux.
Ces liens se définissent et évoluent dans l’espace et dans le temps, et font donc appel à l’histoire et à la mémoire collective. Le partage d’une histoire construit en effet un capital cognitif commun participant au système de signification défini ci-dessus.
Ces éclairages abondent donc dans le sens de la critique exercée par Marcel Détienne vis-à-vis des politiques de glorification d’une mémoire nationale principalement restreinte aux périodes où notre pays se composait majoritairement d’une population de français de souche : en ravivant et en développant les bases de cette mémoire sélective, ces politiques renforceraient l’homogénéité de cette identité ‘de souche’, en la différenciant donc de celle de ces ‘autres français’.