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L’héritage ouvrier au début du 21ème siècle
Selon la doctrine marxiste, la lutte des classes existe de tous temps et sous toutes les formes et se manifeste au travers de l’affrontement entre bourgeois et prolétaires.
Une évolution de vocabulaire
Dans un dossier publié en 2008, le journal La Croix estimait que la France comptait environ 6 millions d’ouvrier. Pourtant, cette classe semble disparue de la scène sociale et politique. Dans les années 1900, les ouvriers représentaient 80% des actifs !
L’évolution du vocabulaire professionnel a progressivement effacé les termes à connotation ouvrière : aujourd’hui, plus aucun salarié ne se déclare ouvrier. De même, en matière de ressources humaines, des définitions de poste basées sur les compétences ont remplacé les désignations collectives : on n’occupe plus un poste d’ouvrier mais d’opérateur sur machine numérique etc…
La notion d’ouvrier, et encore davantage celle de classe ouvrière, sont désormais inscrites dans l’imaginaire collectif comme appartenant au passé, à l’époque révolue de la gloire du parti communiste. Depuis l’effondrement de son idéologie, la classe ouvrière ne semble pas avoir su s’inscrire dans le présent et encore moins dans l’avenir.
L’individualisation de la tâche
L’histoire de la classe ouvrière est indissociable de celle du monde du travail, et plus particulièrement de l’évolution des conditions de travail. A l’époque de l’imposition du modèle taylorien dans les usines, la division du travail et sa réduction à une succession de gestes répétitifs conduisirent à la déshumanisation des travailleurs, perçus uniquement dans leur dimension ‘productive’. Le vécu professionnel individuel étant impossible, les ouvriers s’inscrivirent donc dans un mouvement collectif, qui se caractérisait d’ailleurs par ses valeurs humaines : solidarité, égalité…
L’évolution des conditions de travail ainsi que les politiques libérales et la mondialisation ont tout d’abord abouti à une diminution très importante du nombre d’ouvriers, démembrant ainsi les collectifs formés dans les entreprises. Dans le même temps, les politiques managériales ont progressivement migré vers une recherche de l’adaptation homme-travail, tout en déliant les performances du salarié du collectif : formation personnalisée, création de concours interne, formalisation d’objectifs individuels, entretien d’évaluation annuelle…
Une modification des rapports de force
L’apparition des mains d’œuvre bon marché des pays émergents a également privé les salariés de leur pouvoir principal face aux patrons, c'est-à-dire, leur force productive. Les rapports de force entre patrons et ouvriers s’appuyaient en effet sur une inter-dépendance entre les classes : les premiers avaient besoin des seconds pour produire, les seconds, avaient besoin des premiers pour gagner leur vie. Cet équilibre fut rompu par la possibilité donnée aux chefs d’entreprise de faire appel à des ouvriers étrangers.
Dans une certaine mesure, on peut considérer que la réciproque est vrai puisque les groupes industriels ont également perdu de leur capacité à faire travailler les ouvriers et à leur permettre de gagner leur vie : multiplication des licenciement, prise de pouvoir de la vie de l’entreprise par les actionnaires, délocalisation etc.... La hausse des prix et de la précarité (financière mais également professionnelle du fait des contrats de travail à court terme) est également en cause puisque l’emploi n’est plus synonyme d’évitement de la pauvreté.
Et aujourd’hui ?
Les signes visibles d’appartenance à la classe ouvrière ont beau avoir disparu (bleu de travail, casquette et logements dans des quartiers ouvriers), des liens existent toujours entre un certain nombre de travailleurs. Ces liens ne portent plus sur le partage d’une identité collective, mais de certaines conditions de travail. Il s’agit principalement des métiers répétitifs, manuels et demandant peu ou pas de qualifications.
Si l’on ne parle plus d’exploitation des ouvriers par les patrons au sens marxiste, on évoque régulièrement des conditions de travail dégradées et dont les caractéristiques se retrouvent dans un nombre croissant de professions : caissières, employés de hotline, employés de la restauration et même les travailleurs sociaux dénoncent une prise de pouvoir d’une vision gestionnaire du travail, au détriment de la qualité et des savoirs faire.
Au fil de la dénonciation de ces politiques entrepreneuriales, une prise de conscience se construit et permettra sans doute l’élaboration d’une nouvelle identité collective, basée sur le partage de ces conditions de travail. Dans le secteur de la recherche, des figures intellectuelles sont désormais connues pour leurs études sur les ‘risques psycho-sociaux’ et autres violences au travail, il en est de peu pour qu’un leader politique s’impose et rassemble derrière lui.