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L’évolution de l’humour et de la caricature
L’humour des années 70 et 80, caractérisé par un engagement politique et idéologique marqué, a progressivement laissé la place à un humour moins investi, plus neutre et lisse. A cette époque, la société française a consacré des humoristes revendicatifs tels que Pierre Desproges ou encore Coluche, Thierry Le Luron mais aussi, dans un autre registre, Guy Bedos ou encore Claude Pieplu (les Schadocks). Ces différents humoristes, bien qu’évoluant dans des univers différents, affichaient des caractéristiques communes…
…Intelligence, culture et subversion
Tout d’abord, un goût souvent prononcé pour les traits d’esprit, les jeux de mots et associations d’idées. Que ce soit dans le « Tribunal des flagrants délires » (sur France Inter) ou dans l’émission d’Europe 1 (animée par Coluche) On n'est pas là pour se faire engueuler, on y trouve une large place pour les mots d’esprit eu autres réparties fulgurantes. Seconde caractéristique, l’intelligence subversive et la culture font partie intégrante de cet humour : Pierre Desproges offrait des tribunes radiophoniques et littéraires de haute volée (en disposant d’une impressionnante dextérité rédactionnelles et verbale). Coluche, lui, sous des airs de comique grossier voire vulgaire, proposait des sketchs et caricatures d’une grande finesse (sur notre société, nos travers ou nos contradictions). Il en est de même pour les Shadocks qui, au-delà de leur apparente absurdité et légèreté, font apparaitre de nombreuses références et critiques du fonctionnement humain et de la société contemporaine.
L’humour des années 2000-2010…
L’humour a progressivement investi la quasi totalité des sphères de notre société. « Au travers de la publicité, de la mode, des gadgets, les émissions […] la tonalité dominante n’est plus sarcastique mais ludique » (1). Aux combats d’idées et d’idéologies ont succédé des formes d’humour plus légères, plus consensuelles mais aussi plus formatées, prévisibles voire stéréotypées : « L’humour se désubstantifie, happé qu’il est par la logique généralisée de l’inconsistance majeure » (1)…
L’humour « cool », l’humour vide de sens
Gilles Lipovestky (sociologue français) décrit avec talent, dans son livre « L’ère du vide », les processus amenant à un humour « cool » et aseptisé : « un humour positif et désinvolte, un comique teen-ager à partir de loufoquerie gratuite et sans prétention […] L’humour contemporain se veut sans épaisseur et décrit un univers radieux ». On retrouve cet humour «chewing-gum » tout particulièrement dans l’univers de la publicité, des marques et de la mode mais aussi dans une bonne partie des médias et du monde du divertissement. Lipovestky souligne également avec force l’absence de pensée, de sens et de raisonnement qui caractérisent ces nouvelles formes d’humour.
L’humour violent, l’humour brutal
En parallèle de l’humour « Cool » s’est développée une autre forme d’humour, quasi opposée dans sa forme et dans son fond. En effet, une vague d’humoristes et caricaturistes, plus ou moins inspirés, prennent pour fond de commerce le cynisme voire même la méchanceté. Cela plait incontestablement à un public en mal de violence, de règlement de compte envers ses élites, ses représentants. « A côté de l’humour de masse euphorique et convivial se déploie un humour underground » (2), un humour contestataire qui porte toutes les violences de société (exclusion, isolement, individualisme…) qui ne peuvent se verbaliser ou s’exprimer autrement.
Là encore, on peut y voir l’une des expressions de notre monde contemporain : une oscillation entre un humour lisse, packagé, très consensuel et un autre sans nuance, agressif voire violent. Et entre les 2, une relative absence de pensée, de raisonnement voire tout simplement de culture et d’intelligence… « La civilisation poursuit son œuvre, agençant une humanité narcissique sans exubérance, sans rire mais saturée de signes humoristiques » (3).
(1) L’ère du vide - Gilles Lipovestky – p.202
(2) L’ère du vide - Gilles Lipovestky – p 203
(3) L’ère du vide - Gilles Lipovestky – p.210