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Je refuse de reprendre l’entreprise familiale
La reprise de l’entreprise familiale s’inscrit dans une double problématique : celle de la retraite du parent et celle de l’appropriation de son outil de travail par l’enfant.
Une problématique multiple
En quelques générations, la question de la transmission des entreprises familiales s’est grandement complexifiée. Si la reprise par l’héritier direct du chef d’entreprise constituait la norme par le passé, fort est de constater qu’elle ne va plus de soi et tend même à se raréfier. Les raisons d’un tel choix semblent tenir à la fois à des données sociologiques et psychologiques, et concerner tout autant le responsable que le repreneur.
Toutefois, il est possible de réduire cette problématique aux PME en considérant que les entreprises plus importantes intègrent des procédures de recrutement classiques ou sont dirigées par des conseils d’administration.
Au-delà des secteurs d’activité concernés, les PME se caractérisent par une grande proximité entre l’employeur, ses salariés et ses clients. En effet, à la différence des grands groupes, il n’existe souvent aucune distance géographique entre le lieu de direction et de prise de décision, et la vie de l’entreprise. De plus, la réussite des PME se base en partie sur la création d’un réseau étroit entre l’entreprise et le territoire local qui l’entoure.
La rupture de la retraite
La retraite est une étape de vie qui symbolise le passage entre le temps de l’adulte et le temps de la vieillesse, elle est donc intrinsèquement liée à la question de la finitude et du rapport que nous entretenons avec l’idée de notre propre mort. Comme toute rupture, la retraite s’accompagne de la perte d’un certain nombre d’acquis constitutifs de l’identité et confronte le chef d’entreprise au deuil.
Dans le cas d’un responsable de PME, cette transition sera d’autant plus difficile que son intégration au sein de la communauté aura été majoritairement bâtie à partir des relations professionnelles. Ce faisant, la fusion entre les espaces de vie sociale et professionnelle empêche la construction d’une vie sociale excluant la sphère professionnelle.
L’enfant occupe un rôle de prolongement du père, lui transmettre l’entreprise familiale est donc un moyen de régler la question du deuil, en permettant de repousser la perte de l’objet ‘entreprise’. Elle est également une façon de maintenir un contrôle sur l’entreprise, en exploitant les liens de proximité entre père et enfant. Enfin, la succession permet le maintien d’un certain narcissisme, puisque la réussite de l’héritier sera indissociable de celle du parent.
Du côté de l’héritier
Succéder à son père en tant que responsable de l’entreprise familiale équivaut à ‘prendre la place du père’ et rappelle donc l’ensemble des enjeux oedipiens. En ce sens, la transmission peut occasionner d’importants sentiments de culpabilité générés par des problématiques inconscientes de dépossession de la puissance du père au travers de son entreprise et de sa précipitation vers la mort (la mort professionnelle et la confrontation à la vieillesse). Ces enjeux inconscients entraînent ainsi des charges émotionnelles très intenses et peuvent conduire l’héritier à refuser la transmission.
A l’inverse se trouvent les pères qui tentent d’imposer la succession de l’entreprise à leur enfant, la posant ainsi comme une injonction formelle. L’enfant se trouve alors déposséder de ses propres choix et dans l’impossibilité de construire sa propre identité, loin de l’ombre paternelle. Dans ces conditions, le refus de la succession peut apparaître comme le seul moyen de remettre en question l’autorité du père et de s’imposer en tant qu’adulte, soumis à sa seule autorité ‘intérieure’.