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Faut-il être beau ou belle pour faire de la télévision ?
Dictature de l’apparence, terrorisme de la beauté, les termes ne manquent pas pour dénoncer le culte du beau et la chasse aux ‘non beaux’. En quoi cette stigmatisation des uns versus la standardisation des autres a-t-elle une influence sur notre société ? Quelles sont les conséquences pour les jeunes générations en termes de modèles d’identification ?
Une discrimination par l’image
Un rapide tour d’horizon des présentateurs télé permet de dresser un constat sans appel : pas de rides, de nez trop long ou trop gros, ou encore de traits inesthétiques ; non ils sont tous ‘beaux’, ou devrions-nous dire ‘ils entrent tous dans les normes du beau’. Si, comme nous, vous ne doutez pas que ces visages ne sont en aucun cas, représentatifs de la population de notre pays, alors une conclusion s’impose : seuls ceux qui sont considérés comme ‘beaux’ ont la possibilité de travailler à la télévision.
Il y a plus de 2000 ans, Platon affirmait que le beau reflétait le bien. En plus de constater que nous n’avons pas évolué, il semble bien difficile de nier notre régression, tant le poids de l’apparence est devenue un élément majeur d’inégalités sociales. Sur le marché du travail, l’expérience et les compétences sont désormais reléguées au second plan, alors que ‘l’image’ du candidat est devenue un critère déterminant : le limogeage de Patrick Poivre d’Arvor et son remplacement par Laurence Ferrari n’en est-il pas un exemple des plus frappants ?
Est-il nécessaire de citer les conséquences d’une telle injustice ? Certainement étant donnée l’intensification du phénomène dans le monde de la télévision ! A force de se préoccuper de l’image du corps plutôt que de la personnalité, du parcours de l’individu ou encore de sa morale, quelle ‘image’ la France, pays de l’égalité des droits, renvoie-t-elle sur le plan international ? Quelle perception les français ont-ils de leur pays, pouvons-nous être ‘fiers’ de notre modèle sociétal ? A quoi sert-il de lutter contre les discriminations envers les femmes quand seules celles à l’apparence ‘agréable’ sont choisies ? etc…
La dictature de l’apparence
Dans notre société, les liens sociaux se raréfient autant qu’ils s’accélèrent. Le temps de parole et de dialogue diminue, laissant l’apparence devenir le seul ‘outil’ disponible au cerveau pour établir son jugement. Entre alors en jeu l’ensemble des mécanismes de catégorisation sociale, par lesquels nous simplifions et ordonnons les individus en fonction de critères et de catégories sur lesquelles nous basons notre jugement.
A cette normalisation de la beauté s’ajoute un phénomène de psychologisation de la société et une banalisation des raccourcis dangereux et faux, établis entre apparence, attitude et personnalité. De la personne obèse qui est jugée sans aucun dynamisme et fainéante, à celle qui ne regarde pas dans les yeux et qui manque donc de confiance en elle et ne saura pas prendre de décision, en passant par celle qui a des cernes et qui n’a donc pas une bonne hygiène de vie etc… les jugements tombent comme des couperets et ne laissent que peu de chances à la parole, à la réflexion et à l’apprentissage.
Une identification dangereuse
En multipliant les images du ‘beau’, la télévision, en tant que média de masse, est devenue un instrument faisant l’apologie de la maigreur et de la jeunesse. Elle offre aux téléspectateurs une image de la France dans laquelle ces critères deviennent une norme : ce qui est beau devient donc ‘normal’, ce qui ne l’est pas devient ‘anormal’. Ajouter à cela une association systématique entre des actes de violence et une certaine apparence, et nous obtenons une manipulation de l’image favorisant et créant des stigmatisations et des inégalités d’un autre temps…
Enfin, il nous semble impossible de traiter ce sujet sans aborder la question des conséquences de ces images sur les jeunes. L’adolescence se caractérise en effet par la construction de l’identité sociale et sexuelle, et par la recherche de modèles identificatoires différents de ceux des parents. Les personnalités télévisées comptent parmi ces figures que les adolescents tentent d’imiter puis d’intégrer comme repères identitaires.
Les conséquences sont malheureusement connues : anorexie, boulimie, surinvestissement de l’apparence, désacralisation du corps et tendance à l’exhibitionnisme, sexisme, mais aussi pour ceux qui ne correspondent pas à la norme, atteinte de l’estime de soi, perte de confiance en soi, repli sur soi, évitement social, phobie sociale, dépression etc…