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Ecriture, civilisation et pouvoir
Imaginons quelques secondes ce que seraient nos vies et notre société sans l’écriture : une communication strictement basée sur l’ouie, des informations qui s’effacent dés que la parole s’éteint, aucun support de mémorisation…
Une place centrale
Ce fut Jack Goody (1) qui, le premier, démontra l’importance capitale de l’écriture dans le développement de nos civilisations. L’écriture est un outil de communication qui transforme la parole au travers d’un processus d’abstraction et permet sa conservation dans le temps et dans l’espace. Elle ouvrit donc les portes à une organisation spatiale de l’information en créant des réseaux de diffusion et de transmission.
Dans le monde intellectuel, elle fut à la base d’avancées spectaculaires en venant libérer le chercheur de son travail considérable de mémorisation. Plus encore, elle permit la circulation des ouvrages et des réflexions, ouvrant ainsi la voie à la poursuite du processus de recherche et à la contre-argumentation.
Mais l’écriture fut également la pierre angulaire de la construction et du développement de la civilisation telle que nous la connaissons. En effet elle ne se résume pas à la simple phrase, elle est aussi ce qui permit l’invention de la liste, des formules mathématiques, des tableaux etc… En cela, elle est à la base du développement de l’économie, des sciences ou encore de l’administration.
Un rôle stratégique
Avant le développement de l’écriture, les hommes de pouvoir n’avaient aucun moyen d’étendre leurs influences sur d’autres territoires que ceux qui étaient juxtaposés à leurs terres. Au Moyen-Age, elle permit aux rois de faire porter leurs paroles et leurs ordres au travers des fameuses lettres cachetées du sceau royal. Mais ce fut l’invention de l’imprimerie qui fit de l’écriture une fabuleuse source d’accumulation de savoirs à des fins stratégiques.
Dés lors, elle fut au centre de tous les échanges sociaux et de l’organisation de toutes les relations de pouvoir, de la tête de l’Etat au chef de la petite entreprise artisanale. L’écriture fut à l’origine de toutes les formes de contrôle : cartographie, recensement de la population, diffusion des lois, développement de l’école et de l’instruction, transmission des idées politiques etc…
Enfin, l’écriture fut ce qui permit la naissance et l’évolution de l’administration, véritable cœur de l’organisation de notre société. Omniprésente dans la vie quotidienne, elle est ce qui structure les pays modernes, assure un lien entre les individus d’un même territoire et régule l’ensemble des liens sociaux.
La monnaie comme lien social
L’écriture mathématique se trouve à la base de toutes activités économiques, son développement permit l’instauration et la régulation d’échanges de marchandises et donc la mise en place progressive de l’idée de ‘marché’.
La logique marchande s’insinua dans toutes les strates de la société au travers du développement du monde du travail et de la transformation de la quasi-totalité des habitants en salariés. Dés lors, le pouvoir détenu par les autorités sur les citoyens fut décuplé : la monnaie étant devenue un élément clé de la survie et de l’intégration dans la société, les salariés n’ont d’autres choix que se soumettre aux volontés de l’entreprise (le développement du droit du travail n’est en effet, qu’un moyen pour rééquilibrer les rapports de force).
L’élargissement du capitalisme à l’échelle internationale fit de même. En effet, afin de poursuivre leurs échanges mercantiles en dehors de leurs frontières, les Etats adoptèrent l’étalon-or comme ‘monnaie commune’ mais permirent ainsi aux grandes banques de venir peser sur les transactions et donc sur les économies nationales. Tous les Etats durent donc se soumettre à la loi de l’étalon-or, ce qui, entre autres, évita de nombreux conflits (qui auraient déstabilisé le système) et en créèrent d’autres pour la maîtrise de nouveaux marchés.
(1) J. Goody, La raison graphique, 1977 cité par Gérard Noiriel dans Introduction à la socio-histoire, Ed La Découverte