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Des jeunes qui ne veulent plus travailler ?
A écouter certains, nos adolescents et jeunes adultes ne seraient plus ou pas motivés pour aller travailler : contrairement aux anciennes générations qui ne rechignaient pas devant le labeur, les ‘jeunes’ refuseraient donc d’entrer dans la vie active sous peine d’avoir à fournir des efforts et d’être contraints par les devoirs d’un contrat de travail…
Entre préjugé et projection
Comme toute affirmation généraliste et jugeante (c’est-à-dire comme tout stéréotype), l’idée selon laquelle l’ensemble des jeunes ne voudrait pas travailler, doit être fortement questionnée. D’une part, nous avons tous dans notre entourage, des contre-exemples : des adolescents qui manifestent un grand intérêt pour un métier précis voire même une vocation, qui travaillent durant l’année ou les vacances scolaires ou encore qui déploient une grande énergie pour trouver des stages en entreprise. D’autre part, il suffit de se rapprocher des manifestations d’étudiants et d’écouter leurs revendications pour être frappé par leur intérêt pour la vie professionnelle et même leurs craintes de ne pas y avoir d’avenir…
Comment expliquer alors, la prolifération de ce stéréotype qui semble se répandre tel le feu sur une trainée de poudre ? On pourrait tout d’abord le rapprocher de cette idéologie décadentiste qui consiste à affirmer la suprématie du passé sur le présent et la lente mais inexorable dégradation de la société : « dans le temps, ça ne se serait pas passé comme ça… », « avant, on était beaucoup mieux »… Opposant généralement les générations entre elles, cette position s’inscrit dans le rapport de chacun à la vieillesse et à la dégradation du corps, à la place active dont il faut accepter de faire le deuil pour prendre celle d’une personne inactive (quelle place notre société fait-elle d’ailleurs aux retraités et aux personnes âgées ?) et enfin à l’adaptation au changement (et à la perte des repères) de plus en plus complexe avec l’âge.
On pourrait aussi rapprocher cet a priori du propre rapport des individus à leur travail… En effet, à en croire les sondages et autres enquêtes, nombreux sont les français qui ne se plaisent pas dans leur emploi, ne ressentent pas d’intérêt particulier pour leur métier voire souffrent dans leur activité. Ne peut-on pas voir dans ce jugement porté sur les jeunes, une projection de la propre démotivation de celui qui le profère ?
Des résonances transgénérationnelles
Une fois le caractère stéréotypant de l’affirmation déconstruite, il reste en effet que certains jeunes n’expriment aucun souhait d’entrer dans la vie professionnelle, se désintéressent de leur avenir quand ils ne rejettent pas le monde du travail dans son ensemble. Bien que les raisons d’une telle absence de désir et résistance à l’entrée dans le monde adulte, soient nécessairement spécifiques à chacun, il est sans doute pertinent de questionner l’impact des liens transgénérationnels sur l’image du travail.
En dehors de la sphère familiale et des médias, seule l’école pourrait permettre aux adolescents d’approcher le travail. Or, dans la scolarité, il n’est abordé que sous le seul angle des choix d’orientation, lesquels engendrent une pression et un stress tout à fait impressionnants… Et ce n’est pas le stage de 3ème qui est en mesure à lui seul, de contrecarrer ces processus.
Pour ce qui est des médias, fort est de constater que les journalistes, pris dans le diktat du sensationnel, sont plus enclins à traiter des faits divers survenant dans les milieux de travail (et donc des aspects négatifs voire des drames) qu’à présenter des carrières professionnelles réussies et des personnes épanouies dans leur emploi…
Enfin, à la maison, l’image du travail et de sa place dans l’équilibre des parents dépend presque uniquement du vécu de ces derniers dans leur emploi. Pour tous ces enfants qui voient les contraintes du travail sur leur père et leur mère, entendent leurs griefs contre les conditions de travail, le traitement salarial et aperçoivent si peu de ses effets bénéfiques (plaisir, accomplissement de soi, sentiment d’utilité pour autrui et pour la société, acquisition de compétences…), quelle image du Travail peuvent-ils construire ? Et comment s’étonner si, par la suite, ils ne ressentent pas l’envie d’entrer dans ce monde-là …
Et la société de consommation…
Qu’est-ce que le Travail, si ce n’est un effort constant d’adaptation de soi à la société, à une entreprise, à une organisation du travail, à un manager et encore à une équipe ? Le travail (notion qui par extension, recouvre le travail sur soi et l’évolution d’un individu et commence donc dès la naissance puisqu’une fois né, l’enfant ne cesse de travailler pour acquérir, s’émanciper…) est la résistance du réel. Il est un monde fait de contraintes dans lequel le sujet se confronte à l’autre et doit trouver sa place. Par définition, le travail est donc résistances, oppositions, labeur et efforts inscrits dans le temps…
La société de consommation dans laquelle nous vivons s’inscrit en totale opposition avec cette réalité : hédonisme oblige, tous les plaisirs doivent être satisfaits immédiatement, les besoins comblés et toutes résistances et échecs supprimés… Comment, alors, lorsque l’on grandit dans une telle société, peut-on s’inscrire dans le monde du travail ?