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Crime passionnel et violences conjugales
A. Houel et J. Laporte, membres du groupe de recherche en psychologie sociale de l’université Lyon2, ont réalisé une étude socio-clinique auprès de 32 dossiers d’instruction de la Cour d’Assise de Lyon. Voici un résumé de leur travail.
Les conditions d’une définition
La définition d’un crime en crime passionnel est la première interrogation qui se pose. En effet, d’un point de vue juridique, le crime passionnel n’existe pas, seul le public établit cette distinction (la qualification de crime passionnel n’existe plus dans le droit Pénal français depuis 1791).
Dans quelle mesure des violences conjugales peuvent-elles se transformer en crime passionnel ? Lorsque la femme est tuée ? Lorsque le mari agresseur se suicide après son acte ? Lorsque les enfants sont aussi victimes ?
Si l’existence même du crime dit passionnel est conditionnée à la mort de l’un des partenaires, il exclut d’emblée la possibilité de récidive et semble apparaître comme un drame imprévisible. Pourtant, tel n’est pas le cas : sur les 32 dossiers étudiés par les chercheurs, une grande majorité des hommes meurtriers battait régulièrement leur épouse.
La question de la prévention
18 des 32 cas étudiés sont constitués d’hommes battant leur femme et qui passèrent donc de ‘simples’ violences conjugales au meurtre. Les dossiers restants (14) sont des cas où les conjoints violents furent tués par leur femme dans le cadre de légitime défense. On conçoit donc toute l’importance de la prévention puisque sur les 32 crimes étudiés, la totalité a été précédée de violences conjugales qui auraient donc pu être repérées et stoppées.
Ceci étant, la simple identification des situations dangereuses ne semble pas suffisante à leur résolution. Des études nord-américaines (Gillespie, 1989) ont en effet démontré que la prise en charge des maris violents contribue à la réduction des meurtres des conjoints par les femmes maltraitées, mais n’a aucun impact sur les hommes violents.
Lors d’une autre étude (Sherman, 1997), trois modalités d’intervention ont été testées : l’expulsion de l’homme violent du domicile conjugal, la médiation et enfin, la mise en garde à vue du conjoint durant une nuit. La médiation apparut comme la méthode de prévention la moins efficace alors que l’arrestation fut la plus pertinente dans les premiers temps avant d’entraîner un grand risque de récidive dans les six mois suivants.
La conception de méthodes de prévention efficaces sur le long terme est donc extrêmement complexe. En France, les trois quarts des plaintes de femmes pour violences conjugales sont classés sans suite. Selon Faget (1997), cette réalité témoigne de la résistance du système judiciaire à traiter les signes avant-coureurs des dangers encourus par les femmes au sein de la famille.
Une maltraitance acceptée
Une prévention efficace des crimes passionnels ne peut s’entendre sans une réaction pertinente de l’entourage familial et amical des femmes maltraitées. Or, la plupart d’entre elles ne peuvent compter sur leur soutien. En effet, sur le panel étudié, les chercheurs ont pu constater qu’un grand nombre de personnes était informé de la situation de maltraitance, affirmant même, sans une once de culpabilité, qu’ils étaient conscients que ‘ça allait mal finir’.
Le traitement des plaintes et des mains courantes laissées par ces femmes avant leur assassinat laisse également apparaître une grande tolérance de la part du monde policier. Dans un rapport de gendarmerie, les chercheurs relèvent par exemple, le terme de ‘sévère correction’ pour nommer la triple fracture du nez subie par la victime !
Si l’on note une minimisation incroyable dans les termes utilisés, on remarque également l’infantilisation de la femme vis-à-vis de son conjoint, qui lui adresse une ‘correction’ tel un parent à son enfant dans les générations précédentes.
Des appels à l’aide ignorés
Le passage à l’acte criminel, en dehors de son caractère dramatique, apparaît également comme une volonté du conjoint de faire cesser les violences, notamment car personne n’a été en mesure de le faire, qu’il s’agisse de l’institution policière et judiciaire ou des proches.
Parmi les cas étudiés, les chercheurs citent l’exemple d’un homme affirmant « qu’on ne l’a pas empêché de faire des bêtises » ou encore qu’il ne «comprend pas pourquoi sa femme qui était intelligente, ne l’a pas fait hospitaliser». Un autre fit une tentative de suicide lorsque sa femme le quitta pour la première fois et confia ses armes à un voisin la veille du crime pour éviter «de faire une connerie». Dans les heures précédant le drame, beaucoup d’hommes tentent de calmer leur nervosité en sur-dosant leurs médicaments et en s’alcoolisant.
Le meurtre intervient ainsi pour répondre à la volonté des hommes d’être arrêtés : arrêter les violences et se faire arrêter. Leur absence totale de résistance lors de leur arrestation par la police prouve cet état de fait.
L’absence de soutien de la part des institutions et de la société envers les hommes violents est donc directement responsable des statistiques déplorables des violences conjugales envers les femmes dans notre pays.
La constitution de groupes de parole
Afin d’étudier les conditions de prévention des récidives, les chercheurs étudièrent une expérience menée à Saint Etienne, et consistant à orienter les hommes violents vers un groupe de parole conduit par un psychologue et un travailleur social.
Le pourcentage de taux de récidive semble être passé de 31% à 20% lorsqu’un certain nombre d’éléments sont abordés. Les hommes violents doivent être en mesure de reconnaître la responsabilité de leurs actes, condition préalable à la compréhension de leur sanction. Par ailleurs, l’accompagnement psychologique doit leurs permettre de détecter les signes précurseurs aux actes violents et de développer leurs capacités d’expression de leurs émotions, notamment dans le cas de conflit.
Ainsi, une prévention efficace doit combiner une intervention psychologique, sociale et judiciaire. Les chercheurs concluent donc à la nécessité d’un ensemble de mesures :
- une orientation obligatoire des auteurs vers des groupes de parole
- un suivi post-sentenciel systématique
- des suivis thérapeutiques individuels pour les auteurs et les victimes ainsi que des thérapies de couple
- la programmation de suivis téléphoniques
- une participation à des modules de communication
Enfin, les auteurs soulignent la pertinence d’une sensibilisation aux violences conjugales dans les écoles afin de travailler sur les relations entre filles et garçons ainsi que sur les représentations portées sur le sexe opposé et la résolution de conflits.