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Corps physique, corps psychique
A l’évocation du terme de corps, chacun pensera en premier lieu à son corps physique, c’est-à-dire à notre enveloppe corporelle, à nos organes ou encore à nos sens. Le corps psychique, lui, demeure un mystère pour la plupart d’entre nous, quand il n’est pas tout simplement nié. Et pourtant, chacun sait qu’il existe : plaisirs, désirs, envies, frustrations, angoisses mais aussi rêves, souvenirs… toutes ces manifestations sont celles du corps érotique.
Un corps ou deux corps ?
Au creux des consultations de soin, qu’il s’agisse de soins physiologiques ou psychologiques, les liens entre symptômes physiques et symptômes psychiques apparaissent comme des évidences. Parfois violentes pour les praticiens sûrs de leur art et tellement désireux de ‘guérir’, ces manifestations se dévoilent au cours des récits de patients qui ne se rétablissent pas malgré la disparition des signes biologiques ou encore qui témoignent d’une douleur corporelle intense suite à une séance thérapeutique. Les exemples ne manquent pas pour tous ceux qui se situent au plus près de la réalité des patients.
Si des consultations pluridisciplinaires naissent ci et là au gré de la volonté de quelques-uns, la grande majorité des praticiens et des instituts se voue soit aux soins corporels, soit aux soins psychiques. Il faut dire que les spécialités sont fort pointues et que les champs d’investigation divergent (le neurologue s’intéressera à la mémoire comme un ensemble de processus de réception, de traitement, de tri, de classement et de rappel d’informations tandis que le psychanalyste portera son attention sur l’oubli, l’amnésie, les souvenirs…).
Nul ne peut aujourd’hui remettre en question les connaissances amassées sur le corps physique de la même façon que nul ne peut s’interroger sur l’existence d’un corps psychique. Parfois, ces deux ‘entités’ se conjuguent démontrant alors une concordance entre symptômes physiologiques et psychologiques (la description de l’angoisse psychotique de l’analyste est par exemple concordante avec les manifestations physiques du système nerveux lors de vécu anxiogène). Parfois à l’inverse, elles divergent voire s’opposent. Il y a donc bien deux corps, l’un physique qui se veut inné, et l’autre psychique ou érotique qui se construit progressivement et qui évolue tout au long de la vie, au fil des rencontres, des épreuves et des vécus.
De l’un à l’autre
Nous vivons ainsi dans deux corps simultanément, le premier est physique, observable, quantifiable, dissécable, le second est abstrait, subjectif et invisible aux yeux du profane. Comment alors, se crée cette deuxième entité ? Par le processus que l’on appelle subversion libidinale (1), c’est-à-dire l’ensemble des phénomènes permettant le passafe des fonctions biologiques au profit des fonctions érotiques (2).
L’enfant nait avec l’ensemble de ses organes; on peut donc affirmer que le corps biologique est inné. Dans les premières semaines de sa vie par exemple, il utilise sa bouche pour se nourrir, c’est-à-dire comme instrument de nutrition. Pour autant, tous les parents savent que l’enfant usera rapidement de son organe pour bien d’autres activités que celle de la nourriture : en portant les objets à sa bouche, en les goutant, en les suçant, il démontrera qu’il en prend possession et affirme qu’elle sert aussi à son plaisir.
L’étayage
L’étayage, dans l’exemple précédent, consiste à une subversion de l’organe ‘bouche’ ; opération par laquelle il devient une zone érogène. L’édification du corps érotique se construit ainsi progressivement, prenant toujours appui sur l’organe, lequel, grâce à la pulsion, devient une zone érogène (celles-ci représentent toutes les parties qui limitent l’intérieur de l’extérieur). Le corps se détache ainsi de ses besoins primaires pour accéder à des besoins secondaires.
Ces échanges entre corps biologique et corps érotique se construisent dès l’enfance, par l’intermédiaire des parents et des soins corporels qu’ils prodiguent. Le corps érotique trouvent ainsi ses origines dans les cinq premières années de la vie, et est soumis au fonctionnement psychique de la mère.
(1) Selon la définition donnée par Christophe Dejours
(2) C. Dejours, Le Corps d’abord, Payot, 2001