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Comprendre les effets de l’énergie psychique sur le corps
Dans son livre ‘Le corps d’abord’, Christophe Dejours propose une métaphore des plus claires pour aborder les liens entre énergie psychique et santé du corps (pour une meilleure compréhension, il est conseillé de lire l’article ‘Corps physique, corps psychique’ en amont).
L’image du moulin
La psychanalyse pose la thèse centrale d’une énergie psychique fondée sur les instincts.
Le travail d’un moulin consiste en une canalisation du flux de la rivière par un mouvement mécanique et sa transformation en une énergie qui permet ensuite la production de farine ou d’huile.
Christophe Dejours nous propose de considérer la rivière comme énergie instinctuelle, le moulin comme appareil psychique, l’environnement de la rivière comme le corps physiologique et enfin, la farine ou l’huile, comme la vie érotique du sujet. On comprend alors que c’est bien le travail de l’appareil psychique qui permet de transformer les instincts pour construire l’ordre érotique (ce que les analystes nomment étayage subversif), ordre qui nous permet de nous détacher de nos instincts primaires pour accéder à des plaisirs secondaires.
La centralité de l’appareil psychique
La présence du moulin a des effets bénéfiques sur le territoire entourant la rivière. Il économise les terrains qui le succèdent, canalise les variations de débit et permet un développement des terres alentours : la végétation et les cultures poussent.
Envisageons maintenant que ce moulin dysfonctionne et ne permette plus l’irrigation des près : les digues se transformeront progressivement, les cours de la rivière redeviendront sauvages et les cultures environnantes périront.
Cette métaphore permet d’entrevoir la centralité du fonctionnement psychique sur le corps humain. Son efficience ne touche pas le seul cerveau mais impacte bien directement le corps physique : comme la géographie entourant le moulin transforme le paysage en centralisant la rivière, l’appareil psychique canalise les flux instinctuels et modifie progressivement l’anatomie physiologique.
Les bases de la somatisation
Forte de ses théories, la psychanalyse considère les maladies somatiques, non pas comme l’unique résultante de causes physiologiques mais aussi comme les conséquences de mécanismes psychopathologiques. Rappelons-nous en effet, à quel point nos émotions peuvent malmener notre corps, les organes ne réalisant plus leur fonction : le stress, l’angoisse, la détresse mais aussi l’amour, le désir n’ont-ils pas les moyens d’empêcher la parole, d’influer sur notre mouvement cardiaque, de limiter nos déplacements, de freiner la réflexion ou encore de nous interdire l’accès à certains souvenirs ?
On nomme décompensation somatique, l’expression corporelle d’un phénomène mental. Le terme ‘soma’ vient du grec et signifie ‘corps’ : la maladie psychosomatique consiste donc en une conversion d’un trouble psychique en un trouble corporel (rougeurs, tremblements ou à l’extrême, maladies tels que le cancer ou encore la mort subite).
Dans cette perspective, et en gardant à l’esprit la métaphore du moulin, on approche l’hypothèse selon laquelle le trouble d’un organe pourrait résulter de processus inconscients visant à empêcher la fonction érotique de ce même organe : dans l’exemple d’un eczéma conséquent sur les mains, la cause pourrait relever d’une absence de subjectivité concernant le toucher et dont l’origine est à rechercher dans l’enfance puisque « le développement du corps érotique est le résultat d’un dialogue autour du corps et de ses fonctions qui prend appui sur les soins corporels prodigués par les parents et qui se jouent dans les trois à cinq premières années de la vie. » (1)
(1) Christophe Dejours, Le corps, d’abord, Petite Bibliothèque Payot, 2001