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A quoi sert la fête ?
La fête est libératrice sur un plan social et psychologique : elle permet d’exprimer des angoisses, des conflits, de décharger des tensions, de sortir (ponctuellement) de son rôle de représentation…etc
Ce que dit la psychanalyse
La théorie freudienne définit trois instances psychiques : le Moi, le Surmoi et le Ca. Le Moi représente l’intérêt global de l’individu, il est le siège de la raison et du narcissisme. Le Ca, à l’opposé, est l’instance pulsionnelle, il contient ce qui est de l’ordre de l’instinctif, ne connaît aucune règle et fonctionne sous le seul principe du plaisir. Enfin, le Surmoi, constitué lors de la résolution du complexe d’Œdipe, représente l’agent de contrôle du psychisme, il est l’intériorisation de l’ensemble des règles qui régissent la vie. Partiellement inconscient, il deviend le censeur moral lors de la vie adulte.
Pour la psychanalyse, nos comportements et nos ressentis proviennent de la lutte constante entre nos instances psychiques, et notamment entre le Ca et le Surmoi. Ces conflits engendrent donc des tensions et des frustrations. Les régressions psychiques (‘retourner’ à un fonctionnement pulsionnel) sont donc le ‘seul’ moyen d’échapper, quelques temps, aux contraintes de la vie adulte et sociale.
L’histoire des mouvements festifs est d’ailleurs très révélatrice du fonctionnement psychique : dans l’Antiquité, les fêtes étaient des occasions durant lesquelles les lois étaient suspendues, tous les excès normalement prohibés étaient permis. Aujourd’hui encore, bien que le cadre légal soit continu, les lois s’appliquent avec moins de fermeté et les règles sociales sont effacées.
Cette levée nous permet d’oublier momentanément les règles du ‘savoir-vivre’, de la retenue et du contrôle de soi. Psychiquement, cette phase correspond à une mise en parenthèse du Sur Moi et à une libération plus ou moins partielle du Ca, c'est-à-dire du principe de plaisir. Il s’agit donc littéralement d’un ‘défoulement’.
Ce que dit la sociologie
Selon Durkheim, la fête oscille entre deux pôles qui sont le divertissement et la cérémonie. Elle est en effet un fait social dans la mesure où elle se déroule dans le cadre d’un réjouissement collectif.
La fête permet une rupture totale d’avec le quotidien, elle est ostentation et exubérance, elle est un engloutissement total dans le présent, un moment réservé aux seuls plaisirs et durant lequel le futur semble disparaître de nos esprits. Par le recueillement, la fête permet également de supprimer les effets du temps, en réunissant toutes les générations, qu’il s’agisse d’une union spirituelle ou de retrouvailles réels sur le lieu et le temps de la fête.
Enfin, elle permet de ressouder la communauté sociale autour d’un certain nombre de valeurs communes partagées par tous : les querelles sont oubliées, les distinctions entre les classes sociales n’existent plus.
Notre fête est-elle la même que celle de nos aïeux ?
L’étude de l’évolution des rituels festifs au cours du temps permet de repérer ses transformations. Il s’agit notamment de la réduction évidente de sa valeur collective. L’éclatement des cellules familiales empêche en effet fréquemment les regroupements de ses membres, tout comme le recul des pratiques religieuses, qui unissaient dans le passé, l’ensemble des communautés sur le lieu des cérémonies.
La caractéristique de sacralité des fêtes et de ses liens à la spiritualité ont donc, elles aussi, beaucoup faiblies mais semblent toutefois résister au fil du temps.
A l’inverse, le rapport à l’excès et au plaisir s’est renforcé, notamment par l’avènement de la société de consommation. Les évolutions technologiques ouvrent bien plus qu’avant, le champ des possibilités de l’homme, lequel, pour peu qu’il en est les moyens, peut s’offrir la fête de ses rêves.
Dans le passé, la fête renvoyait également à une importante levée des censures. Celles-ci étaient de deux natures : religieuses et autoritaires. Or, l’évolution de notre société s’inscrivant globalement vers une accentuation des libertés et une régression des valeurs spirituelles, le nombre et la ‘valeur’ des censures se sont logiquement réduits, entraînant irrémédiablement une diminution des transgressions possibles.
Enfin, les fêtes permettaient une libération des corps telle une désacralisation. Les danses collectives offraient un moment de mise en mouvement et de jeux entres les corps des danseurs. Les chorégraphies étaient également des temps de séduction dans lesquels les gestes offraient une mise en valeur des formes. De nos jours, les danses collectives ont disparu dans leur grande majorité ou ne sont plus que la lutte de quelques-unes qui résistent (nous pensons par exemple au phénomène de la danse countries). D’un autre côté, la sacralité des corps s’est considérablement réduite au fur et à mesure que les modes vestimentaires les ont découverts.
Et là philosophie ?
Selon Sartre, la nature même de la fête est celle d’une ‘adhérence’, c'est-à-dire du fait d’entrer dans un être collectif et d’y développer une seconde nature.
Nous achèverons cet article sur la parole de la plus grande figure de la fête, Epicure. Dans Lettre à Mécénée, il affirme qu’il n’est pas possible « de vivre avec plaisir sans vivre avec prudence, honnêteté et justice », c'est-à-dire sans censure morale et légale à lever et transgresser.