L’avortement comme expérience de perte : un deuil à élaborer

Souvent réduit à un acte médical ou à un choix rationnel, l’avortement laisse pourtant derrière lui une trace psychique que peu osent nommer : celle d’une perte. Même lorsqu’il est pleinement assumé, l’IVG confronte à un vide, difficile à reconnaître dans une société qui valorise le fait de « passer à autre chose ». Ce deuil, parce qu’il n’a ni statut social ni rituel, s’inscrit dans le silence. Pourtant, l’élaboration de cette perte invisible est essentielle pour que l’histoire intime ne se fige pas dans le non-dit.
Une perte sans reconnaissance sociale
Contrairement aux deuils traditionnels, l’avortement ne donne lieu à aucune légitimation extérieure du chagrin ou du trouble intérieur. Clara, 30 ans, raconte qu’elle s’est surprise à ressentir une tristesse inattendue après son IVG, mais qu’elle n’a « pas osé en parler » de peur d’être incomprise. Ce manque de reconnaissance enferme souvent la personne dans une solitude psychique, où la perte reste à l’état brut, sans possibilité de symbolisation.
Le vide laissé par ce qui n’a pas eu le temps d’exister
L’IVG confronte à une particularité : faire le deuil de quelque chose qui n’a pas eu de place concrète dans le réel. Sophie, 27 ans, évoque une « absence étrange », comme si un espace en elle était resté suspendu. Ce sentiment vient du fait que l’inconscient, lui, a déjà inscrit l’existence de ce début de vie, même fugace. La perte porte autant sur le potentiel que sur le réel, rendant le travail de deuil complexe et souvent refoulé.
Entre soulagement et tristesse : l’ambivalence à accepter
Après un avortement, le soulagement légitime peut cohabiter avec une tristesse diffuse, sans que cela soit contradictoire. Julie, 34 ans, dit « avoir bien vécu son choix », tout en ressentant des moments de mélancolie inexpliquée. Cette ambivalence est normale : elle traduit le processus psychique d’intégration de la perte. Ignorer cette tristesse sous prétexte que l’IVG était voulu empêche souvent de clore symboliquement cette expérience.
Donner une place psychique à la perte pour avancer
L’essentiel n’est pas de dramatiser l’avortement, mais d’accepter qu’il s’accompagne, pour beaucoup, d’un deuil silencieux à élaborer. Mettre des mots sur ce vide, reconnaître l’existence de cette perte intérieure, même sans regret, permet de transformer l’événement en une histoire psychique intégrée. Ce n’est qu’en acceptant d’entendre ce deuil invisible que l’on peut véritablement tourner la page, sans que le corps ou l’inconscient ne portent seuls la mémoire de ce qui a été perdu.