Addiction douce, douleur silencieuse

Elles ne font pas de bruit, ne bouleversent pas l’ordre social, ne conduisent pas toujours à l’effondrement. Et pourtant, elles sont là, bien présentes, dans nos vies ordinaires. Les addictions dites « douces » – au sucre, aux écrans, au travail, aux achats, aux likes – s’immiscent dans nos gestes quotidiens. Elles ne font pas scandale, mais elles grignotent. Elles comblent, apaisent, distraient… jusqu’à créer une dépendance si insidieuse qu’on ne la voit plus. Ce n’est pas parce qu’une addiction est discrète qu’elle ne fait pas mal.
Une emprise banalisée
Ce qui rend ces addictions complexes, c’est leur banalité. Elles s’exercent dans des domaines socialement valorisés : performance, consommation, connexion. Être « accro au travail », par exemple, est souvent perçu comme un signe de sérieux. Mais la souffrance, elle, ne se mesure pas au regard des autres. Elle s’installe en soi, dans l’irritabilité, la fatigue constante, la perte de plaisir réel… Elle agit à bas bruit, comme une tension de fond permanente.
Le besoin de combler un vide
Derrière chaque dépendance, il y a une tentative de gestion émotionnelle. Ces gestes répétés – grignoter, scroller, acheter, planifier – visent à apaiser une tension intérieure, souvent floue. L’addiction douce est une manière de fuir un manque que l’on ne veut pas entendre. Et ce manque peut être ancien, profond, difficile à nommer : solitude, insécurité, ennui existentiel, vide affectif.
Une illusion de contrôle
Parce que ces comportements semblent choisis, on croit les maîtriser. On pense pouvoir s’arrêter quand on veut. Mais ce sentiment de contrôle masque parfois une boucle intérieure bien installée : plus on consomme, plus le malaise revient. Ce qu’on croit gérer est parfois ce qui nous tient. Et cette confusion entre liberté et automatisme peut durer des années sans qu’on en prenne vraiment la mesure.
Une souffrance qui cherche à dire quelque chose
Plutôt que de condamner ces habitudes, il est utile de les écouter. Que disent-elles de notre manière d’exister ? Que cherchent-elles à réparer, à remplir ou à retenir ? L’addiction douce est un langage du corps et du cœur. Elle ne demande pas une lutte brutale, mais une écoute fine. Elle invite à redonner une place à ce qu’on essaie d’éviter : les émotions, les désirs enfouis, les besoins négligés.
Vers une forme de liberté plus subtile
Sortir d’une addiction douce ne signifie pas éliminer le comportement du jour au lendemain, mais en modifier la place. Cela demande de la douceur, du discernement, parfois un accompagnement. Ce n’est pas le geste qu’il faut juger, mais le lien qu’on entretient avec lui. En se réappropriant ce lien, on retrouve une part de liberté intérieure, souvent plus profonde que celle que l’on croyait avoir.